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Cheever, John
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L'univers de l'Américain moyen est peuplé des gens bizarres; les « collants » : on n'arrive pas à s'en débarrasser, et ils finissent par empoisonner l'air que vous respirez; le voyeur qui vous sait dans la détresse, et rêve de vous voir vous pendre... voici un suiveur : « J'avais peine à me retenir de lui chuchoter à l'oreille d'une voix très douce : “Madame, puis-je mettre ma main autour de votre cheville? C'est tout ce que je veux, Madame, cela me sauverait la vie” ». L'employée licenciée, qui vous braque un revolver sur le ventre, et dit doucement : « La seule chose que j'aie jamais voulu dans la vie, c'est un peu d'amour ». Le décor est pourtant tranquille, une gare parmi tant d'autres. « Quelques affiches étaient placardées au mur derrière eux. On y voyait un couple trinquant avec des verres de vin, un talon de caoutchouc Cat's Paw et une danseuse hawaïenne. La gaieté qu'elles irradiaient semblait ne pas dépasser les flaques d'eau et s'y éteindre. Le quai et les voyageurs dégageaient une impression de solitude. » C'est vrai, on angoisse... Les scènes de ménage, les espérances déçues, les attentes impossibles se font dans l'univers de l'home, sweet home comme des lames de fond qui ne viennent pas troubler la surface. Finalement, en apparence, tout va bien. John Cheever a reçu le prix Pulitzer en 1978. Sur un ton anodin, dépourvu d'effets, il sonde les profondeurs, là où règnent les turbulences. Il arrive aussi à Cheever de mêler à ses histoires un humour noir ou « pince-sans-rire ». Cet humour fuse de partout dans la nouvelle intitulée « L'océan ». À sa femme qui tient à arroser la pelouse sous une pluie d'orage, le narrateur, en mari plein de tact, suggère : « Rentre ma chérie. Tu pourrais être frappée par la foudre. ». Il n'apprécie pas sa belle-mère : « Une blonde à la voix sèche, d'environ soixante-dix ans, dont le visage porte sur les côtés quatre cicatrices dues à la chirurgie esthétique », et se désole de voir sa fille liée à un « détraqué sexuel ». On ne devrait pas rire du malheur des autres. Je l'ai fait pour cette nouvelle, et avec plaisir:-) . Tel est le problème de lecture de cet auteur : parfois il jette sur ses contemporains un regard cru et sans concession, parfois leurs revirements font d'eux des marionnettes dont la conduite prête à rire. Ainsi cet obsédé des cigarettes : Extrait: « Regardant la population de la ville passer près de lui dans le crépuscule, il la vit composée de Winston, de Chesterfield, de Marlboro, de Salem, de narguilés, de pipes en écume de mer, de cigarillos [...], de Camel et de Players. Ce fut une jeune femme - presqu'une enfant - qu'il prit pour une Lucky Strike qui causa sa perte. Elle hurla quand il l'assaillit, et deux inconnus le jetèrent à terre, le rouant de coups de pied et de poing avec une juste indignation morale [...]. Il y eut un vaste tohu-bohu, puis les sirènes de la voiture de police qui l'emmenait. »
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Alain Rotko
(54 critiques, cliquez pour les voir)
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Genre : Fiction
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10/1/2002
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