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Leshem, Ron
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En Israël, les jeunes meurent tôt parfois... Quand un de leurs camarades tombe, les soldats jouent - mais ce n'est pas un jeu, plutôt une cérémonie de deuil, un exorcisme -, à «il ne pourra plus ». Ils égrènent tout ce qu'il ne pourra plus: emmener son petit frère au cinéma, écouter le dernier disque à la mode, voir sa mère fière le jour de l'entrée à l'université, assister à l'enterrement du grand-père. Yonatan en a fait les frais. «Yonatan ne reniflera pas une transpiration suave, mêlée au parfum d'un shampooing délicat, en une nuit de folle baise et d'étreintes comme on en a tous connu pendant la semaine où on est revenus du Liban, quand tout a été fini.» Il y a Yonatan, mais aussi Ziv, Zitlawi, Shpitzer, victimes d'une roquette, d'une mine.
En mai 2000, l'armée israélienne se retire de la citadelle de Beaufort, construite par les croisés. Pendant dix-huit ans, elle fut une enclave israélienne, partagée avec l'Armée du Liban Sud, «un gang de phalangistes azimutés». Beaufort, le premier roman de l'Israélien Ron Leshem (trente-deux ans), raconte la vie quotidienne d'un chef de commando, le lieutenant Erez.
Ce roman époustouflant pourrait être celui de toutes les guerres: celle, réelle, du Vietnam, ou celle, fantastique, du Désert des Tartares. Beaufort, c'est un fortin, juché à 700 mètres d'altitude au Sud-Liban, les « yeux » de Tsahal dans la région. Là vivent et meurent des garçons de 20 ans, de la « chair à canon » pour certains, des « héros » pour d'autres. Ron Leshem s'est inspiré de conversations avec des vétérans pour écrire ce roman. Tout y est: l'angoisse, l'horreur, l'attente d'un ennemi invisible, mais aussi les déconnades, l'absence d'intimité, les lettres qu'on n'envoie pas et celles que l'on craint de recevoir. «Qu'est-ce que je fous dans cette forteresse de croisés?» demande un soldat à son supérieur. Dis-moi, je fais de la figuration dans la Bible? Ouvre les yeux: ça fait mille ans que des gens meurent sur cette montagne, il ne serait pas temps de baisser le rideau?»
Ces fantassins neutralisent les charges explosives, repoussent les incursions du Hezbollah et pestent contre les «jobniks» qui sirotent des milk-shakes et draguent les filles à Tel Aviv. Porté par la traduction de Jean-Luc Allouche, qui a réussi une prouesse en traduisant non seulement de l'hébreu, mais aussi du langage militaire et du slang (l'hébreu de la rue), Beaufort, se lit d'une traite. Il parle d'une sale guerre où toute logique disparaît, si ce n'est celle de survivre ou de mourir «pour rien». A ce titre, Beaufort n'est pas le récit d'une guerre, mais celui d'une déroute.
En Israël, le livre a été un best-seller: 130.000 exemplaires dans un petit pays où un grand succès démarre à 10.000. Les Israéliens, qui ont tous une relation émotionnelle, quasi charnelle, avec leur armée, y ont sans doute trouvé un miroir fidèle. Écrit dans une langue inventive et nerveuse, Beaufort est le portrait implacable d'une «génération perdue» de jeunes combattants israéliens, et on le lit dans l'urgence et le rythme de cette guerre sans fin.
Porté à l'écran avec talent par Joseph Cedar (nominé aux Oscars), Beaufort vient de paraître en français aux Editions du Seuil. A lire d'urgence pour constater la vitalité de la littérature israélienne.
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Christiane Mélin
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Genre : Roman historique
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Édition : Seuil, 2008, 345 p. , ISBN : 2020959658 Traduction Jean-Luc Allouche
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| | Date :
5/1/2008
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