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Vos écrits
 Le forum du Guide - Critiques de livres : Connexes à la lecture : Vos écrits
Icône du message Sujet: A+, un c onte bizarre (3/3) Répondre Nouveau sujet
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Bobby
Jaseur
Jaseur
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Depuis le: 28 août 2007
Pays:
Belgique
Status actuel: Inactif
Messages: 41
Citer Bobby Réponsebullet Sujet: A+, un c onte bizarre (3/3)
    Envoyé : 26 septembre 2007 à 08:38
A+, un conte bizarre

(3° partie et fin)

Mettons immédiatement les choses au point. Notre brave vieillard n’a strictement rien d’un pédophile et sa libido, par ailleurs fort diminuée, ne joue aucun rôle dans cette histoire.
Mais il voudrait la voir, même de loin, comme un octogénaire qui perd le goût de vivre tente une ultime fois de caresser un enfant du regard…

Il pourrait se consacrer au petit bout qui dort dans le berceau de sa petite-fille, c’est vrai.

Mais son rêve, son grand film cinémascope, c’est de contempler, comme un tableau, une petite demoiselle dont les yeux brillent de bonheur et de fierté à la seule évocation de la vie qui explose en elle, comme les bourgeons du printemps.

Le bouton de rose, quelques instants avant d’éclore. Le ruisseau argenté qui rebondit sur les cailloux avant de se transformer en cette belle rivière limoneuse qui serpente paresseusement sous les frondaisons.

Est-ce mal, scabreux, insidieux, voire les prémices d’un dérapage pervers ? Ribaux ne le pense pas, mais s’étonne quand même de la fébrilité qui l’anime. Il a même l’impression de revivre un rendez-vous très ancien, alors que lui-même, encore adolescent, scrutait à s’en dessécher les yeux, le fond d’une rue où devait apparaître celle qui avait accepté de le retrouver.

Tout a changé et tout est pareil. Il a choisi pour cette rencontre, sans doute la dernière de son existence, un bistrot pour touristes qui forme l’angle de l’avenue des Gaulois et de l’avenue de Tervueren, juste en face du parc du Cinquantenaire et du métro Mérode. Une vaste terrasse dallée de schiste et entourée d’un petit muret de moellons sur lequel reposent des jardinières fleuries surmontées de claustras envahis de plantes grimpantes.

Une vingtaine de tables rondes en fer avec un parasol punaisé en leur centre et deux lauriers tige boule dressés sur leurs bacs en teck devant l’entrée. Un coin presque champêtre, avec vue imprenable sur la triple arcade du musée que surplombe le célèbre quadrige en bronze.
Mais c’est aussi un endroit de grand passage, surtout en cette période de l’année, donc discret. Jean Ribaux s’est posté dans un coin reculé.


De là, il peut, sans se faire remarquer, observer à travers les fougères le trottoir de l’avenue et l’escalator du métro, d’où émergent et plongent des flopées de citadins pressés en lunettes de soleil, bermudas, chemises hawaïennes, tops et robes à fleurs.

Il n’est que 13h30. Il lui reste une demi-heure pour considérer le spectacle et se préparer.


***


Une gamine surgit à l’instant, très jeune, en apparence décontractée mais dont les yeux font rapidement le tour de la terrasse, sans s’arrêter sur le vieux beau qui lit son journal. Elle porte un pantalon kaki, des kickers assortis et une tunique vaporeuse, dans les tons verts, qui descend à mi cuisses. Ribaux hésite… trop grande à son goût et puis ces cheveux d’un noir de jais qui lui tombent sur les épaules ? Il croit se souvenir que Magda est blonde et les porte courts.

Elle tient un portable à l’oreille et parle, tout en jouant avec une mèche sur laquelle elle a enfilé un chapelet de fines perles multicolores. Elle ne cherche pas à s’asseoir et gesticule avec un bras bronzé couvert de bracelets fluos. Elle est trop loin pour qu’il entende la conversation, mais notre octogénaire ne la sent pas. Non, ça n’est pas elle et puis… il est trop tôt. A moins que…

Nana ! C’est Nana.

Quand ell m’cass la têt, j’la traite de grand latte ! Tu devrais voir alors comm elle est mauvaise…

Elle a envoyé son amie en avant-garde !

Il la reluque à la dérobée (ça discute ferme) et sent une émotion inexplicable l’envahir. Magda est là, quelque part dans les environs, de l’autre côté du boulevard peut-être, ou près de la camionnette du marchand de glaces, à l’entrée du parc.

Il regarde discrètement aux alentours, mais ne remarque rien de particulier, sinon un groupe d’écolières en jean et t-shirt avec des sacs à dos et de larges besaces en toile qui pendouillent sur les hanches. Trop jeunes, trop nombreux, trop quelconques.


***


La grande latte est repartie, en même temps qu’un groupe de touristes allemands aussi vite remplacés par une invasion familiale, avec père bedonnant en short, mère affairée en transpiration, poussette trois roues et trois petits crânes rasés courts sur pattes qui grimpent en se bousculant sur les fauteuils en tôle peinte.

Il est moins cinq et Jean Ribaux est si agité qu’il voit distinctement le sang filer dans les grosses veines bleutées qui affleurent sur le dos poilu et fripé de ses mains. Son cœur cogne comme s’il essayait d’enfoncer la porte de sa maigre poitrine et… La voila.

Jésus, Marie, Joseph… qu’elle est jolie ! Blonde et bouclée comme le blé qui ondule au soleil de l’été, quelques tâches de rousseur friponnes et de grands yeux clairs qui font le tour de l’esplanade avec une moue déçue.

‘Elle a dû s’apprêter pendant des heures’ songe Ribaux avec ravissement, en notant le mascara un peu osé sur ses cils d’enfant, la marinière Petit Bateau qui sort visiblement de la machine à laver, les bottillons de toile à talonnettes (pour faire plus grande) et ces fameux jean’s baggy que sa mère lui a achetés. Une petite fermière dans un sac à pommes de terre. Une superbe jeune femme… de douze ans !

Elle n’a pas l’air contente, la petite, et pour cause. Arlequin n’est pas là ou en retard ! Elle prend place à deux mètres de lui sans même le remarquer et demande un coca avec une voix si fluette que le garçon l’observe un instant, en se demandant s’il ne ferait pas mieux d’attendre les parents pour prendre la commande.

Il la voit de trois quarts. Elle a les sourcils froncés et le regard fixé sur l’entrée de la terrasse. Elle croise et décroise les jambes, s’est rendue à deux reprises déjà aux toilettes, histoire de vérifier s’il ne se trouve pas dans la salle, et tripote en permanence un minuscule GSM rose sur lequel elle consulte l’heure toutes les vingt secondes…


***


Rosa aussi était en retard le jour de leur premier rendez-vous. Une histoire de tram dont il ne se souvient plus très bien, mais qui l’avait rendu malade d’angoisse. Il ne peut pas la laisser dans cet état… c’est probablement la première fois et…

’Tu n’es qu’un vieux menteur…’ se morigène t-il en silence. Tu as toujours su au fond de toi que tu n’en resterais pas là. Ce que tu voulais, ce que tu veux, c’est bavarder avec elle, rire avec elle et trouver cette complicité divine et radieuse qu’un grand père ou un père peuvent avoir avec leur fille.

Mais voila, tu as eu un garçon et la vie t’a empêché de connaître ta petite-fille, petite ? Elle avait vingt ans lorsque ses parents sont rentrés de Suède. Tu aurais tant aimé avoir une gamine comme celle-là, innocente et rieuse, une petite écervelée à qui tu aurais refilé cinq euros en cachette de sa mère, une poupée qui t’aurait plongé dans l’inquiétude au moindre retard, une gamine qui t’aurait trouvé pesant et casse-pieds, mais qui aurait su comment procéder pour te tourner en bourrique…

14h20. Elle a le front pâle et les joues roses de colère ou de dépit. Ses yeux tournent dans tous les sens et semblent sur le point de fondre en larmes.

Et si…

Et si le vieil homme se levait dignement, s’approchait de la demoiselle avec déférence et s’inclinait devant elle en lui expliquant calmement qu’il est le grand père d’Arlequin, que le petit a eu un empêchement (il faudra bien inventer un pied cassé et un transport aux urgences pour se justifier) et lui a demandé de venir s’expliquer ?

Elle l’examinera d’abord avec étonnement, méfiance sans doute, mais il lui sourira de toute la largeur de ses fausses dents blanches puis s’invitera discrètement à prendre place devant elle. Il a toujours su s’y prendre avec les femmes.

Elle lui posera des questions, il répondra. Ils parleront, feront connaissance et plus tard… que signifie plus tard quand on va sur ses quatre-vingt-trois ans et qu’il faut porter une écharpe de soie pour cacher un cou chiffonné ? Oh et puis zut ! Il faut y aller. Car elle est sur le point de craquer et de s’enfuir en pleurant. Il respire un bon coup…



***

Et arriva ce qui devait arriver.


***


Il se lève… et elle se lève en même temps que lui. Il la regarde, s’apprête à l’accoster et elle s’écrie d’une voix a moitié étouffée par l’émotion « Arlequin » !

Mais pas à lui, Jean Ribaux, le vieux beau ! Elle ne le voit même pas. Un jeune homme vient de passer entre les deux lauriers en boule qui encadrent l’entrée et c’est à lui qu’elle s’adresse et fait signe de la main. « Arlequin… ici ! »

Il s’arrête dans son élan et la regarde, intrigué. Un gamin de quatorze ans au visage mince, grand, de longs cheveux noirs et de grands yeux bruns rieurs. Il porte en sautoir un sac de toile bourré de fardes et de cahiers.

« C’est moi, Magda… viens ! »

Il s’approche en souriant et lève les bras comme quelqu’un qui ne comprend pas. « Salut… on se connaît ? »

« Qu’est-ce que tu fous ? T’as vu l’heure… ça fait vingt minutes que je t’attends. »

Il tire un siège à lui et s’assied devant la gamine dont le visage rayonne déjà comme si le soleil venait de sortir des nuages et éclairait subitement le paysage de sa jolie frimousse d’enfant. « Moi c’est Roland… mais si tu veux que je m’appelle Arlequin… y’a pas de blem ! »




Le petit vieux au journal redescend lentement sur son fauteuil où il se ratatine comme s’il s’affaissait dans une chaise roulante. C’est vrai qu’au premier abord, il semble encore gaillard, avec sa belle crinière blanche. Mais à bien y regarder, on se rend compte qu’il est très vieux, usé, presqu’éteint.

Devinette : qu’est ce qui est noir quand il est propre et blanc quand il est sale ?



FIN
Le monde des humains est un asile de fous, qui n'est lucide que quelques jours par an, pendant la période du Carnaval
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Patrick Delay
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Citer Patrick Delay Réponsebullet Envoyé : 23 octobre 2007 à 15:59
Salut Bob, je t'ai déjà lu sur la plume, je vais lire celui -ci mais en commençant bien sûr par le début. A bientôt ici ou ailleurs.
Patrick G. Delay
La culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié... J'ai oublié de qui c'était      Encore faut-il qu'il reste quelque chose
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Patrick Delay
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Citer Patrick Delay Réponsebullet Envoyé : 23 octobre 2007 à 16:21
Ben voilà, je l'ai lu ta petite nouvelle. A la fois mort de rire et ému par cette petite tranche de vie d'une finesse et d'une légèreté sublime.
Ce petit vieux attendrissant, cette petite môme qu'on imagine effrontée, sûre d'elle même, ne doutant de rien.
Qui est le véritable enfant dans cette histoire, l'arrière grand père sûrement qui retrouve tous se rêves de jeunesse, alors que la fillette vieillit déjà trop vite.

Bravo. Et bonne chance à toi pour tes publications.
La culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié... J'ai oublié de qui c'était      Encore faut-il qu'il reste quelque chose
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Bobby
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Citer Bobby Réponsebullet Envoyé : 23 octobre 2007 à 23:17
Merci infiniment pour ce commentaire positif et particulièrement encourageant. Mon bouquin sort le 11 novembre à la foire du livre de Tournai. C'est la raison pour laquelle je n'interviens plus pour l'instant sur le forum... trop occupé.

Qui es-tu ? Parle moi un peu de toi... écris-tu également ?

Amitiés
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