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Le forum du Guide - Critiques de livres : Connexes à la lecture : Vos écrits |
Sujet: Canicule | |
Auteur | Message | ||
thimul
Discret Depuis le: 01 mai 2011 Status actuel: Inactif Messages: 18 |
Sujet: Canicule Envoyé : 17 juin 2011 à 07:01 |
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Pour changer, aucune référence fantastique dans cette courte nouvelle.
Il fait Chaud. Je n'ai pas soif. La petite m’a dit qu’il fallait que je boive. Je ne vois pas pourquoi, si je n’ai pas soif. Ce n’est pas parce qu’elle fait le ménage chez moi qu’elle va me donner des leçons. J’ai plus de quatre fois son âge, et elle me parle comme si j’avais deux ans. « Il va pas rester tout le week-end sans vider quelques verres d’eau ? Sinon, il va finir à l’hôpital ! » Je t’en foutrais moi, de l’hôpital ! Je déteste quand elle emploie la troisième personne pour me causer. J’ai toujours envie de me retourner pour voir s’il n’y a pas quelqu’un d’autre avec nous. Un jour, je le ferai. Pas sûr qu’elle comprenne le message. Elle n’est pas méchante, juste un peu con. Là, je suis dur quand même. Vu que c’est pratiquement la seule personne qui me rend visite, je devrais être plus reconnaissant. Les vieux impotents, ils devraient quand même dire merci à toute la société qui prend soin d’eux. Mais elle serait où, la société, si nous n’avions pas pris soin d’elle avant ? Si on ne leur avait pas torché le derrière à tous ces morveux ? Tout ça pour qu’au bout du compte, une presque gamine vous parle comme si vous n’étiez déjà plus là. « Raymond, t’es encore en train de te laisser aller à dire du mal ! » C’est sûrement ce que dirait Louise. Elle est partie il y a 12 ans déjà. Mon fils, Jules, l’a suivi deux ans après : cancer de la gorge. Sur la fin, il avait l’air plus vieux que moi. Quant à Jeanine, ma fille, elle perd complètement la boule. Paraît qu’elle est dans une maison spécialisée près de Paris. Pas loin de là où vivent les petits-enfants. Ils ont bien essayé de m’y coller en maison de retraite, mais j’ai tenu bon. Pas question d’aller vivre avec des gens que je ne connais pas. Je n’ai jamais été très sociable, ce n’est pas à 96 ans que ça va commencer. Bref, tout ça pour dire que ma famille, je la vois aux enterrements. Il fait chaud. Je n’ai vraiment pas soif. D’ailleurs, moi, la chaleur, j’aime ça. Un peu de soleil, ça me change du temps pourri de Normandie, et ça réchauffe mes articulations qui n’en finissent plus de couiner. Faudrait leur dire à tous ceux qui parlent de nous que la vieillesse, c’est douloureux. Enfin, c’est la première chose qui me vient à l’esprit quand j’y pense. Remarquez, la douleur, ça prouve au moins que je ne suis pas mort. Vivement que je ne souffre plus ! Faut que j’arrête de ruminer. J’ai l’air d’un vieux ronchon. C’est peut-être ce que je suis devenu. C’est de la faute à Louise. Avant, j’étais plutôt gai. Pas très sociable, mais gai. Jamais je ne me serais douté qu’elle s’en irait avant moi. Comme ça, d’un coup, sans prévenir. Je me suis réveillé un jour, et elle était morte à côté de moi. Plus dégueulasse que ça, y a pas ! Pas dégueulasse dans le sens d’avoir quelqu’un de mort dans son lit, dégueulasse parce que je ne m’y attendais pas. Bêtement, je m’imaginais que je mourrais avant elle, que j’ouvrirais la voie en premier, ne serait-ce que par galanterie. Dans les rares moments où j’envisageais l’inverse, je me voyais la serrant dans mes bras pour un dernier adieu. C’est que je l’aimais, ma Louise. On ne devrait pas avoir le droit de mourir sans prévenir. Même quand on a dépassé l’âge. Depuis, j’attends. Comment il disait le chanteur déjà ? « Quand l’un meurt, l’autre se retrouve en enfer » Bien vu. Il fait de plus en plus chaud. J’ai de moins en moins soif. Aujourd’hui, c’est dimanche. Pas d’aide-ménagère. Personne pour parler de moi à la troisième personne. Personne. Je n’ai pas allumé la télé. Le dimanche, c’est réservé aux actifs. Ceux qui payent ma retraite. Sur la Une c’est la bagnole et le foot. Les deux m’emmerdent. Les deux polluent. Sur la Deux, c’est la tranche des émissions religieuses du matin. Ça m’a toujours mis en rogne. Avant, j’étais instit. A l’époque, il fallait qu’on bouffe du curé pour qu’ils nous laissent un peu de place. Quand je les entends maintenant avec leurs simagrées d’écoles « libres », je me marre. L’école libre, ça a toujours été la nôtre, pas celle des curetons. Faudrait voir à pas renverser la réalité ! La Trois et les autres chaînes, je ne regarde jamais. Alors, je reste assis, et j’attends. J’attends dans ma maison blanche. Il y a 6 mois, la mairie a trouvé que ma baraque avait franchement l'air d'une ruine. Vu que je suis le plus vieux de sa commune, le maire a voulu faire un geste. Ils ont tout repeint. En blanc. L’intérieur, l’extérieur, tout. Ils ont pris avis auprès de spécialistes. Des gériatres, ça s’appelle. Ils leur ont dit qu’il fallait que ce soit lumineux pour éviter les chutes. Pour être lumineux, ça l’est ! J’ai réussi à éviter l’hospice, mais ils ont réussi à recréer l’ambiance. Quand on y pense, fallait le faire ! Même l’air que je respire est chaud. Midi. Pas soif. Je ne sue même pas. Je suis peut-être en train de cuire. Ce matin, je me suis regardé dans la glace. Comment il disait le poète déjà ? « J'arrive où je suis étranger. » Bien vu. J’entends les voisins dehors. Je les sens. Des odeurs de merguez, de côtes de porc grillées aux herbes de Provence. Les gosses crient un peu, mais c’est de leur âge. Les adultes rient beaucoup. Profitez en bien les enfants. On devrait toujours profiter. On devrait toujours comprendre que rien ne dure. Combien de merveilleux moments ai-je laissés filer sans en respirer toute l’importance ? Je sors très peu dans le jardin. Mes guibolles m’ont trahi une fois et depuis, j’ai un peu peur de me retrouver le nez dans l’herbe. On a sa dignité. Autant dire que je connais très peu les gens qui se sont installés à côté de chez moi l’année dernière. Ils me saluent gentiment quand ils me voient assis, près de ma fenêtre ouverte. Ils ont l’air plutôt sympathique. Un peu insouciants, mais sympathiques. Un temps, j’ai vaguement espéré que l’un d’eux franchirait le seuil de ma maison. Pas vraiment pour devenir amis, juste pour lier connaissance. Tout le monde me sourit, mais personne n’est jamais venu. Je ne leur en veux pas. Qu’est-ce que vous voulez que des gens qui n’ont pas trente ans aient à dire à un presque centenaire ? Ce n’est pas un fossé qu’il y a entre nous : nous sommes simplement sur deux planètes différentes. Jusqu'à preuve du contraire, les voyages intersidéraux, ce n’est pas encore pour demain. Leur barbecue ne m’ouvre pas l’appétit. Il me reste un plat dans le frigo, livré par la mairie. C’est toujours trop copieux. Au moins, on ne pourra pas dire qu’en France, on laisse les vieux mourir de faim. D’ennui, peut-être. Je crois que je vais m’allonger pour une petite sieste. La chaleur toujours. La journée s’allonge. J’ai un peu soif. Je crois que j’ai somnolé. Il y a une carafe d’eau posée sur la table de la cuisine. Il faudrait que je me lève, que je traverse tout le couloir, que je sorte un verre propre, que je lève la carafe. Trop compliqué. Pas envie. Je me sens un peu faible, mais ça va. Juste encore un peu fatigué. J’entends des bruits de conversations dehors. Depuis combien de temps n’ai-je pas parlé à quelqu’un ? Je veux dire vraiment parlé. Pas une phrase pour dire que j’ai bien dormi, que j’ai envie d’aller aux toilettes, que je n’ai pas faim, ni soif, mais une vraie conversation. Une de celles qui nous empoignaient Alphonse et moi. Alphonse, le notaire. Alphonse, le réac. Alphonse, mon vieux copain. Parti, lui aussi. Tous partis. Ce n’est pas la vieillesse que je hais. C’est ce qu’elle m’a pris. Mon amour, les enfants, les amis, mon ouïe, ma vue, et même la parole qu’elle a fini par me retirer. « Raymond, arrête de t’apitoyer sur toi même. Il y a pire que nous. » Tu as raison Louise, comme toujours. Il y a pire que moi. Je ne devrais pas réagir comme ça. J’ai eu une belle vie. Juste un peu trop longue. Louise, si tu savais comme tu me manques. Il fait nuit, il fait chaud. J’ai soif. Trop tard pour aller jusqu’à la cuisine. Trop tard pour remplir un verre d’eau. Trop tard pour tout. Ma langue a la consistance du carton. Elle colle au palais. J’entends des bruits de portières qui claquent. Derniers rires. Moteurs de voitures. Les amis des voisins rentrent chez eux. Profitez, profitez. 2003 est une belle année ensoleillée. Je crois que je ne vais pas tarder à m’endormir. Enfin. Une dernière pensée incongrue pour toute cette nourriture gaspillée qui attend dans le frigo. En France, on ne laisse pas les vieux mourir de faim. De soif, peut-être… |
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pois-chiche
Discret Depuis le: 16 novembre 2011
Messages: 7 |
Envoyé : 16 novembre 2011 à 14:34 | ||
Pas mal cette petite histoire ! on aimerait lire la suite.
belle atmosphère, triste, mais tellement juste... |
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denis76
Déclamateur Depuis le: 21 janvier 2010 Status actuel: Inactif Messages: 6872 |
Envoyé : 17 novembre 2011 à 10:20 | ||
Fin de vie dans la solitude ? C'est triste.
En 2003, je n'etais pas la, mais il parait qu'il faisait tres chaud en France, et heureusement que mes parents avaient la climatisation, et que ce n'etait pas en panne. |
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