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 Le forum du Guide - Critiques de livres : Connexes à la lecture : Vos écrits
Icône du message Sujet: Insecticide Répondre Nouveau sujet
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thimul
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Depuis le: 01 mai 2011 Status actuel: Inactif
Messages: 18
Citer thimul Réponsebullet Sujet: Insecticide
    Envoyé : 01 mai 2011 à 16:52
Insecticide



Je suis arrivé un peu avant l’aube. Les insectes qui nous ont envahis ne sortent pas la nuit, ou très peu. J’ai passé une bonne heure à attendre qu’ils se regroupent dans ce bâtiment où, jadis, je travaillais. Pendant ce temps, je repassais inlassablement dans mon esprit aux aguets, le chemin qui m’avait amené jusqu’ici.
Je ne sais pas vraiment comment tout ceci a commencé. Je ne sais pas d’où sortent les cafards, mais un fait demeure certain, ils sont là et bien là. Je suis à peu près le seul qui s’en soit pour l’instant rendu compte, mais je suis sûr que, bientôt, d’autres tout comme moi auront pris conscience de l’urgence de la situation.
     
Assis dans cette 205 pourrie que j’ai achetée après avoir vendu ma Mercedes, je regarde le sac posé à côté, sur le siège avant. Il contient tout le matériel dont j’ai besoin. Je n’ai pas peur. Même si ces bestioles sont énormes, j’ai ce qu’il faut pour les exterminer. J’ai troqué mon costume noir habituel contre un bleu de travail car je pense qu’à la fin de la journée, je risque de ne plus être très propre.
Finalement, j’agrippe le sac de sport et je descends du vieux tacot. Je me dirige vers la porte vitrée à deux battants de l’immeuble. Ça grouille à l’intérieur.
J’entre calmement.
Je ne veux pas qu’ils s’affolent trop vite et se mettent à courir partout. Et surtout, je ne veux pas qu’un seul puisse se sauver. Je me penche lentement sur le sac et je sors une chaîne que je passe autour des clenches avant de verrouiller le tout avec un cadenas.
Je sens que ça commence à s’agiter derrière moi. Je m’abaisse à nouveau sur le sac, et je sors mon ustensile.
Tandis que je commence le nettoyage au milieu des insectes affolés, je repense une nouvelle fois aux évènements qui m’ont conduit ici.
     
Tout a commencé l’année dernière au mois de juin. L’arrivée du nouveau DRH avait stressé tout le monde. Ce genre de personnage qui débarque dans une grande entreprise en pleine période de récession (que dis-je ? De croissance négative) n’augure en général rien de bon. Le seul qui n’était pas angoissé, hormis le fameux DRH et le directeur, c’était moi. J’étais cadre, j’avais 45 ans, j’étais marié à une femme que j’adorais, et je m’épanouissais dans mon travail de chargé de clientèle. Je partais souvent sur les routes rencontrer de futurs clients et, même si mes résultats avaient légèrement baissé ces dernières semaines, je demeurais un des meilleurs atouts de cette boîte. Mon salaire élevé en témoignait.
Il y eut une réunion de bienvenue durant laquelle le jeune cadre dynamique fit un petit discours. Il affirma qu’il était là pour travailler en équipe, qu’il ne voulait que le bien de l’entreprise. Mais, il parla également des ajustements indispensables qu’il se devait de mettre en place. Ils furent quelques-uns à ne pas comprendre ce qu’il voulait dire par là. Ce fut d’autant plus pénible pour eux.
Les convocations pour des entretiens professionnels commencèrent à pleuvoir une semaine plus tard. Tous ceux qui étaient convoqués ressortaient le visage blême.
Certains, hommes ou femmes, revenaient à leur poste en larmes. Le résumé de leur entretien tenait en quelques phrases. Il était question d’incompétence, de surévaluation de leurs capacités, de démission, de menaces voilées. Le salaud y mettait les formes, mais l’argumentaire était suffisamment clair pour déstabiliser n’importe qui.
Je partis avec ma femme au mois de juillet. Quinze jours au Canada. Cela faisait longtemps que Nicole en rêvait. Ce furent nos dernières vacances, mais je peux dire que ce furent également les meilleures.
Je reçus ma propre convocation 24 heures avant de reprendre mon travail, par texto. Celle-là, je ne m’y attendais pas. Je n’en dormis pas de la nuit et c’est la trouille au ventre que je pénétrai dans le bureau du directeur des ressources inhumaines.
— Asseyez-vous Monsieur Planchet.
Je m’exécutai en me demandant ce qui allait bien pouvoir me tomber dessus. J’avais préparé tout un argumentaire concernant la baisse de mes résultats et j’espérais être convaincant. J’avais beau me dire qu’il y avait de toute façon très peu de risques qu’ils me fichent à la porte, j’avais beau ruminer qu’un licenciement leur coûterait beaucoup trop cher, j’avais une véritable envie de pisser dans mon pantalon en face du grand inquisiteur.
— J’ai analysé vos résultats ce premier semestre, ils ne sont pas fameux. Notre société d’assurances a besoin de nouveaux contrats. Et vous êtes assez loin du compte.
Je m’y étais préparé et j’ai donc débité mon laïus, un peu trop vite à mon goût.
Ça donnait visiblement l’impression que j’avais tout appris par cœur et je suis certain qu’il s’en aperçut. Mais, ce qui suivit me surprit totalement.
— Je suis entièrement d’accord avec vous, répondit-il. D’ailleurs, ce n’est pas pour cela que je vous ai demandé de venir dans mon bureau. Voyez-vous, notre entreprise a besoin d’évoluer. Pour cela, je dois m’entourer de personnes compétentes, dont vous faites assurément partie. Je mets sur pied un service qualité. Celui-ci aura pour fonction d’une part de centraliser tous les dysfonctionnements de l’entreprise et de proposer des améliorations, d’autre part de recueillir les remarques, les problèmes et incidents relatifs aux contrats de nos assurés afin d’y apporter des réponses concrètes. Je voudrais que vous preniez la direction de ce service. Bien entendu, cette promotion se fera avec une légère mais substantielle revalorisation de salaire.
Je n’en revenais pas. Une promotion ! Tout le monde se faisait descendre et moi, je montais en grade. J’avais déjà une foule d’idées en tête sur les transformations possibles qui pouvaient faciliter la vie dans cette boîte et du même coup en augmenter la rentabilité. Je m’en étais d’ailleurs un jour ouvert au précédent DRH. Il fallait croire que mon esprit d’initiative avait fini par être remarqué.
Quand j’annonçai le soir même la nouvelle à Nicole, elle sauta littéralement de joie. Ma femme a toujours été très attentive à mon évolution de carrière. Elle m’avait très vite fait comprendre qu’elle ne supportait ni la médiocrité, ni les gens qui stagnaient
Comme elle disait toujours : vivre, c’est aller de l’avant. Quand un vélo n’avance pas il tombe, quand un requin ne nage pas il meurt.
     
J’ai choisi d’être méthodique. L’extermination des cafards et autres insectes ne souffre pas de l’à peu près. Si vous en laissez échapper un, vous vous retrouvez bientôt avec une nouvelle colonie toute aussi fournie et envahissante.
Je passe de pièce en pièce et je nettoie consciencieusement le rez-de-chaussée. Je vais même dans les sanitaires. Bonne idée car à l’instant où j’entre, je vois deux de ces bestioles qui essaient de s’échapper par une lucarne en hauteur. Je sens d’ici leur panique. Je leur règle leur compte aussitôt.
J’en trouve une autre dans l’escalier. Je n’ai pas eu le temps de réapprovisionner mes outils. Je lui saute dessus et je lui défonce la tête à coup de talon. Leur grosseur est incroyable et leur résistance aussi. J’ai dû m’y reprendre à 5 fois pour lui détruire son système nerveux.
J’arrive au premier étage. Ici, les insectes sont moins nombreux. Le bruit en bas semble les avoir alertés. Personne ne le sait, mais les insectes peuvent être particulièrement intelligents. Ils comprennent plein de choses et sont capables d’organiser des plans très complexes. La meilleure preuve de ce que j’avance, c’est moi.
Arrivé dans le couloir, je contemple toutes les portes fermées.
De la méthode.
J’ouvre la première à droite.
J’en vois un sous le bureau.
     
15 jours plus tard, je pris mes fonctions.
Je fus un peu déçu lorsque l’on m’annonça que mon bureau se situait pour l’instant dans les sous-sols du fait des restructurations en cours. On m’affirma que celui-ci était provisoire. Très vite je me mis au travail et commençai à coucher sur le papier mes principales idées pour améliorer notre efficacité. Mon premier rapport fut sur le bureau du DRH en fin de matinée. Dans l’après-midi je reçus les premières réclamations de la clientèle. Je me plongeai aussitôt dans chacun des contrats et contactai immédiatement les intéressés pour discuter avec eux de leurs problèmes afin d’y apporter une solution.
Le lendemain, je fus appelé par le DRH. J’entrai dans son bureau certain qu’il avait déjà lu mes premières notes et qu’il voulait que nous en discutions. Il avait une expression fermée. Il ne me demanda même pas de m’asseoir et attaqua de but en blanc.
— Je crains que vous n’ayez mal compris votre rôle, monsieur Planchet. J’ai appris que vous vous étiez permis de contacter des clients pour revoir avec eux leurs contrats.
—    Oui. J’essayais d’apporter une réponse à leurs réclamations.
Votre rôle n’est pas de vous substituer aux chargés de clientèles. Eux sont là pour discuter avec leurs clients. Votre travail est uniquement synthétique. Vous êtes une force de proposition et uniquement de proposition.
—    Bien, répondis-je, un peu abasourdi par la dureté du ton.
Je tentai de reprendre une contenance.
—    Et mon rapport, qu’en avez-vous pensé ?
— Pas franchement à la hauteur de ce que j’attends de vous.
Si vous voulez mon avis, vous pouvez faire beaucoup mieux. En tout cas, je l’espère. Tout comme j’espère que ce poste ne dépasse pas vos capacités.
     
Monsieur le directeur des ressources humaines, en tant que responsable de la qualité, je fais mieux, beaucoup mieux.
Je suis en train de rendre le plus grand des services à cette entreprise.
Je décafardise.
Bien sûr, personne ne me l’a demandé, bien sûr personne ne se soucie des insectes et autres blattes, mais il faut bien que quelqu’un se tape le sale boulot avant que ces bestioles n’envahissent définitivement notre quotidien. C’est eux ou nous. C’est une question d’espace vital.
Ce travail est fastidieux et après l’excitation de la désinfection du rez-de-chaussée, j’effectue ma tâche au premier avec moins d’enthousiasme. C’est assez répétitif, mais au moins, ce n’est pas très compliqué.
Ça, ça ne dépasse pas mes capacités.
Ouvrir une porte, entrer, refermer la porte et se poster devant. Bien regarder dans la pièce, compter les cafards et les éliminer un par un. Ensuite, on passe à la pièce suivante.
Il faut rester concentré, ne pas se laisser aller. Tout à l’heure, j’ai failli en rater un qui tentait de se faufiler dans un conduit d’aération. Mais il était tellement gros que le corps ne passait pas. Je lui ai explosé le dos.
     
Je ne réalisai le piège qui s’était refermé sur moi que quelques semaines plus tard. Seul dans mon bureau au sous-sol qui s’éternisait dans le provisoire, je fus bientôt à court d’idées.
A compter de notre dernier entretien, je ne parvins plus à voir le DRH qui était toujours en réunion quand je demandais à le voir. Les courriers de la clientèle au début assez nombreux, une vingtaine par jour, diminuèrent à dix, puis cinq, puis un, jusqu’à devenir hebdomadaires, jusqu’à ne plus exister du tout.
J’arrivais le matin vers huit heures, descendais dans les abîmes et ouvrais mon ordinateur. Je m’installais devant et essayais de trouver désespérément une idée. Au bout de deux ou trois heures, je finissais par abandonner et j’attendais dans mon fauteuil qu’un courrier, une lettre, un mail, quelques lignes, me fussent envoyés.
Plusieurs fois je montai dans les étages pour voir du monde, parler à quelqu’un, m’informer, communiquer, mais c’était toujours à ce moment-là que l’on tentait de me joindre dans mon bureau. Je reçus deux lettres d’avertissement dans lesquelles on me demandait de bien vouloir, en tant que responsable de la qualité, rester à mon poste pour le bien de la société.
Outre l’ennui que provoquèrent jour après jour ces heures passées à attendre dans ce bureau sans fenêtre, ce fut la honte qui fut le plus difficile à supporter.
La honte d’être payé à ne rien faire. La honte d’être bien payé. Quand j’arrivais le matin, je croisais quelques personnes qui me disaient bonjour d’un air gêné. Je surprenais des regards à la dérobée devant la machine à café, sans que je sache vraiment si ceux-ci étaient de la compassion, du reproche, ou un mélange des deux.
Il me fut encore plus difficile de trouver la force de ne rien dire à Nicole.
Plus que tout au monde, il m’était insupportable qu’elle comprenne ce qui était en train de m’arriver. Elle ne l’aurait pas accepté, et son amour pour moi n’y aurait pas résisté. J’aurais mille fois préféré m’immoler plutôt que de passer pour un minable à ses yeux. Ma hantise était qu’elle décide un jour de passer au bureau.
Elle m’interrogeait souvent quand je rentrais, sur ma journée de travail. J’avais pris l’habitude d’inventer. Je lui racontais ce qu’elle voulait entendre.
Et tout ceci dura des mois. Une infinité d’heures, de minutes, de secondes à rester cloîtré dans ce sous-sol, sans personne avec qui communiquer. Juste à attendre, attendre toujours. J’ai commencé à parler tout seul. A faire les questions et les réponses.
J’ai songé à aller voir mon médecin, car je sentais bien que je commençais à perdre pied. Mais, qu’aurait-il pu à ma situation ? Je doute qu’une petite pilule eût suffi à ne plus me sentir enterré dans ma propre entreprise. Car c’est cela que j’étais en train de devenir : un enterré vivant.
Je sais également que j’aurais pu me plaindre à l’inspection du travail. Mais dans ce cas, inévitablement, tout ceci serait revenu aux oreilles de Nicole. Je m’étais enfermé trop loin dans le mensonge pour subitement lui avouer l’enfer qu’était devenue ma vie professionnelle, ma vie tout court.
Finalement, après une énième nuit d’insomnie, pendant une énième journée à parler aux murs, j’entrevis la seule chose capable de me sortir, d’une certaine façon, de ma situation. L'unique issue qui les obligerait à ne pas m’oublier.
     
Dans les autres étages, il y en a moins.
Vu le boucan que je fais, j’ai bien l’impression que cette vermine fuit devant moi. Il faut reconnaître au moins ceci aux cafards : ils ont l’instinct de conservation. Dès que vous en éliminez un, c’est comme si, en mourant, il lançait un signal de détresse à tous les autres qui se carapatent avant même que vous vous pointiez.
Mais, j’ai pris mes précautions. Je suis arrivé en avance pour bien préparer le terrain. Aucun ne m’échappera. Ils sont plus loin, là-haut, dans les étages.
De la méthode, il faut juste de la méthode.
Tiens, en parlant du loup, je tombe sur toute une colonie planquée dans les toilettes du quatrième.
Je continue la désinfection.
     
Ce jour-là, je décrochai la ceinture de mon pantalon. A force de tourner en rond dans cette geôle, j’avais fini par m’intéresser à un tuyau qui courait dans l’angle que faisait un des murs avec le plafond. Ce tuyau était chaud, mais il avait une qualité principale, il semblait solide. Je pris une chaise et quelques dossiers que je posais dessus jusqu’à atteindre la bonne hauteur. J'attachai un bout de ma ceinture à cette barre providentielle. J'avais pris soin de la passer dans la boucle du ceinturon pour faire un joli cercle coulissant. Je n’avais plus qu’à passer le tout autour de mon cou, ce que je fis avec une sérénité qui m’étonne encore.
Je donnai un bon coup de pied dans les dossiers qui tombèrent de la chaise et mes pieds se mirent à pendre dans le vide.
Je sentais le cuir comprimer mes carotides. Mon Dieu ce que j’étais bien !
Et c’est alors qu’avant de perdre connaissance, je les vis.
Ils étaient deux, face à face. Ils agitaient leurs antennes. De quoi parlaient-ils ? Ou de qui ? De moi, bien entendu. Ça ne pouvait être que de moi.
J’attrapai in extremis le tuyau avec mes mains, et sans prêter attention à la peau de mes mains qui se collaient sur le métal chaud, je réussis tant bien que mal à poser un pied sur le dossier de la chaise qui, heureusement pour moi, tenait encore debout.
Mon esprit était à la fois embrumé et parfaitement clair. C’est une sensation étrange que de saisir au milieu d’un monde totalement flou une vérité qui vous apparaît absolument limpide.
Mon cou débarrassé de sa ceinture, le sang recommença à affluer dans mes artères. Mais, la vérité que j’avais pu saisir une toute petite seconde, cette vérité, restait gravée en moi. J’étais et je suis encore certain, que, d’une manière ou d’une autre, j’ai touché un bout du paradis. Il m’a été donné d’apercevoir la réalité de ce qui est en train de se passer et ce faisant, j’ai accepté la mission divine qui m’a été confiée.
J’ai passé le reste de la journée à les observer, et puis les jours suivants, et puis les semaines suivantes. Je prenais des notes. Je ne souffrais plus de l’inaction. J’étais de nouveau en projet, j’étais à nouveau vivant.
J’ai compris beaucoup de choses en les regardant : l’insignifiance de l’individu face à la colonie, l’importance des antennes pour observer et rapporter, la soumission de l’insecte à un ordre supérieur pour le bien de la collectivité.
Comment avais-je pu être aussi aveugle ? Comment n’avais-je pas pu remarquer le complot des insectes contre la race humaine. Ils prennent notre place petit à petit, et nous ne voyons rien de ce qu’ils trament.
Je sais que certains pourraient me déclarer totalement fou, mais ils ne savent pas ce que je sais, personne ne les a observés comme je les ai observés. La vérité finira bien par éclater, mais en attendant, que faire ? Les laisser nous coloniser, nous envahir ?
J’ai donné ma démission. Elle a été acceptée dans l’heure. Je n’ai rien dit à Nicole. Tous les matins je partais comme si rien n’était, et je rentrais tard le soir. Entre deux, je peaufinais mon plan. Ne rien laisser au hasard.
Il fallait frapper un grand coup. Eliminer tous les cafards en une seule fois et ainsi, faire savoir aux autres blattes que j’étais là, et que je ne les regarderais pas détruire la vie de milliards d’êtres humains sans bouger.
     
J’arrive enfin au dernier étage. Jusqu’ici, j’ai fait du bon boulot. Mais il me reste à m’occuper des derniers cafards. Les plus intelligents sont en général en hauteur. Ce sont aussi les plus dangereux.
Ici, les bureaux sont plus grands. Il y a même une grande salle de réunion dans laquelle je pénètre en premier. Il y en a pas mal ici. J’extermine à la sulfateuse. Les insectes sont terrassés. Puis, je m’approche afin de m’assurer qu’ils sont bien morts. Il y en a encore un qui bouge les pattes.
Un nouveau coup de sulfateuse et le voilà calmé.
Ensuite, je vais dans d’autres bureaux. J’ai gardé le meilleur pour la fin : le bureau du DRH. Je suis sûr qu’il y en a un aussi à l’intérieur.
J’ouvre la porte. Personne.
Sous le bureau. Rien.
Je vérifie la fenêtre. Fermée.
J’entends un petit bruit étouffé, dans une armoire métallique.
Il est là, terré, liquéfié par la panique. Ça pleure les cafards. Ça pleure des larmes de terreur. Il embaume une odeur d’urine presque douce à mes narines.
Entre ses pattes, un téléphone portable.
« Pitié » semble-t-il dire.
Je suis arrivé tôt. J’ai pris mes précautions. J’ai posé un brouilleur à longue portée. J’ai aussi coupé les lignes téléphoniques. Plus d’antenne pour les cafards. Impossible d’appeler d’autres cafards à la rescousse.
Il émet des sons étranges. Certains sont compréhensibles. J’entends le mot enfant. Argent. Et même raisonnable.
Comment peut-on être raisonnable quand l’avenir du monde repose sur mes seules épaules ? Je décharge ma sulfateuse sur la cervelle de la bestiole qui se pulvérise.
     
Mission accomplie !
Je suis épuisé, mais je suis content du travail que j’ai pu abattre (c’est bien le mot) en même pas une heure.
Je suis couvert de souillures rougeâtres.
Du sang de blattes. J’ai soif.
Il y a un frigo dans le bureau du DRH. Je sors une bière.
Après l’effort, le réconfort.
Je caresse ma sulfateuse. On trouve de tout à Paris. Suffit d’y mettre le prix.
J’allume également un petit poste de télé qui s’éclaire sur une chaine d’information. Un bon DRH doit toujours se tenir au courant des cours de la bourse. Très important la bourse.
Flash info : Nouvelle vague de suicide de salariés d’Orange.
Je recharge la kalachnikov.
   
Il y a tellement, tellement de cafards…

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* Ça *
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Citer * Ça * Réponsebullet Envoyé : 11 mai 2011 à 15:01
Je sais que j'ai été un peu longue à répondre, mais je l'ai lu et voici mon appréciation pour ton texte.


Excellente nouvelle! Texte intéressant et intelligent. Bien écrit et efficace. Je ne peux pas dire enlevant par contre, mais très visuel, ce qui fait un peu froid dans le dos, probablement à l'image de la détermination de l'exterminateur.
Coup de chance ou pas, j'ai vu assez vite où ça s'en allait, mais je n'en ai pas moins apprécié le récit.
C'est noir, sans humour et direct, puisque << L'extermination des cafards et autres insectes ne souffre pas de l'à peu près. >>


*** Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux _ J.Renard

*** Les gens qui ne rient jamais ne sont pas sérieux _ Alphonse Allais


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thimul
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Citer thimul Réponsebullet Envoyé : 14 mai 2011 à 08:59
Merci beaucoup !
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denis76
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Citer denis76 Réponsebullet Envoyé : 15 mai 2011 à 06:08
C'est vrai que Orange, France telecom, c'est le rendement a tout prix, meme si les plateforme sont de mauvaise qualité pour les usagers.

" l’insignifiance de l’individu face à la colonie, l’importance des antennes pour observer et rapporter, la soumission de l’insecte à un ordre supérieur pour le bien de la collectivité"

Tres Kafkaien, comme dans "le Procès"....D'ailleurs, il y a un roman de Kafka où le narrateur se réveille en cafard sur le dos, bougeant ses pattes, et incapable de se remettre sur le ventre !

C'est bien écrit. Tu pourrais le développer pour en faire un livre.
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