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saison dans la vie d'Emmanuel (Une)
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Blais, Marie-Claire
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La vie est dure aux miséreux.
Au Canada, la naissance d'un enfant dans une famille très nombreuse et pauvre. Nous le suivrons, lui et sa tribu, pendant la saison hivernale. La Misère est omniprésente, la religion aussi, mais pas pour aider les pauvres gens; la survie était le lot de tous les jours.
Emmanuel naît en remplacement d'un de ses frères mort la veille; heureusement, car la place manque. La promiscuité est infernale, la mère, après 16 grossesses, est un être usé, le père un ignare obtus. La vie se poursuit sous l'égide de la grand-mère, mais les drames vont ternir la fin de la première saison de la vie d'Emmanuel. Les garçons les plus vieux boivent et fument en cachette, le Septième et Pomme sont envoyés pour travailler dans une usine de chaussures. Jean le Maigre, l'écrivain, est envoyé chez les frères. Jeunesse corvéable, ils deviendront une main-d'œuvre à très bon marché. Emmanuel a son destin tout tracé s'il survit.
La grand-mère est un personnage énorme, au propre comme au figuré. Elle mène la maison avec force et douceur, femme ambiguë qui s'est pratiquement toujours refusée à son mari et qui l'a « aimé pendant son agonie ». Le Septième et son frère Jean le Maigre sont tour à tour chenapans (les visites la nuit dans la cave du père, leur conduite avec certaines filles du voisinage) et en même temps des victimes désignées. Une de leurs sœurs, Héloïse, mystique, que la sexualité tourmente et qui entend les nuits de ses parents derrière la fine cloison, quittera aussi la maison avant la fin de l'hiver : un travail dans une auberge l'attend. Mais tous déchanteront.
La forme du récit est surprenante : parfois Emmanuel est le narrateur, parfois c'est la Grand-Mère, puis un troisième. L'écriture divague un peu, la phrase commence à une époque, puis se termine sur un retour en arrière, les gens racontent l'histoire de cet hiver. Mais j'ai pris beaucoup de plaisir à ce livre et le Septième et Jean le Maigre sont très attachants dans leurs faiblesses et leur impuissance à changer leur vie. Le fatalisme du Septième est un aveu final.
La vie continue et, pour Emmanuel, avec l'arrivée du printemps, sa deuxième saison commence et sûrement, un autre enfant viendra.
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Eireann 32
(11 critiques, cliquez pour les voir)
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Genre : Fiction
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12/1/2005
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saison dans la vie d'Emmanuel (Une)
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Blais, Marie-Claire
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La première image qui me vient à l'esprit pour décrire ce livre est à milles lieues de la littérature. J'apercevais une dentellière créant de ses mains une écharpe d'une finesse hors du commun. Cette histoire est brodée de mots. Je ne vois pas comment je pourrais définir autrement la rédaction de ce roman au demeurant sordide. Emmanuel est le petit dernier issu d'une famille nombreuse. Les enfants en bas âge y meurent plus souvent qu'autrement. À travers la vie de la grand-mère et de plusieurs protagonistes de cette tribu, nous avons la chance de faire un tour de piste de la société québécoise d'avant la Révolution tranquille. Presque tout y passe. Nous nous promenons dans les maisons de correction, les couvents, les orphelinats, les églises et les bordels. Nous assistons à un suicide, aux mauvais traitements des enfants en institution, à la soumission d'une femme sacrifiée sur l'autel du désir de son mari, ainsi qu'à la mort des enfants plus ou moins abandonnés à leur sort.
Même si cette histoire n'en finit plus d'être noire, elle réussit à nous captiver à cause de son style d'écriture. Cette touche particulière, mariant le cycle romanesque à une verve poétique, réussit toujours à venir exciter nos yeux de telle sorte que l'on veut connaître les lignes suivantes. Du début de l'hiver jusqu'au printemps suivant, on se surprend à vouloir décoder cet échange entre une grand-mère forte et dominatrice et le petit dernier. Elle mène son monde comme un capitaine de navire, réussissant à tenir à distance le mari de la maison. Pour ce qui est de sa fille, elle n'est qu'un personnage secondaire, bonne qu'à mettre au monde des enfants qu'elle n'a même pas la force d'élever.
Je puis facilement imaginer l'impact de ce livre lors sa première parution. Marie-Claire Blais nous conviait à regarder, sans aucun filtre déformant, la misère de toute une génération. Cette vie pouvait très bien tenir la comparaison avec ce qu'on peut observer dans le sud de notre hémisphère. J'imagine qu'un Dominicain ou un Équatorien, en lisant ce livre, pourrait très bien se reconnaître. La pauvreté transparaît à chacune des lignes de ce petit bouquin. Il est difficile de concevoir que nos aïeux croupissaient dans cette espèce de marécage dont ils ne voyaient pas la façon de se sortir. Pourtant, dans la mouvance d'une certaine modernité, la société québécoise a réussi à s'échapper de l'impasse. Il faut lire ce livre pour la beauté des mots imbriqués comme les fils d'une toile d'araignée d'une beauté sublime.
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Claude Rouleau
(première critique)
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Genre : Fiction
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| | Date :
avant 2001
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Livre(s) de Marie-Claire Blais critiqué(s) sur le Guide
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