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sagesse dans le sang (La)
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O'Connor, Flannery
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Si vous souhaitez vous plonger dans l’univers de Fawlkner ou de Caldwell – le sud profond si particulier des « petits blancs » américains – tout en y croisant des personnages de Beckett, des Molloy ou des Malone mais qui n’attendraient plus Godot car ils auraient déjà trouvé Dieu, alors lisez sans tarder La sagesse dans le sang, le premier roman de Flannery O’Connor (1925-1964).
On y partage quelques mois de la vie d’Hazel Motes, un jeune soldat américain, exclu de l’armée pour avoir tenté de déserter, et qui, après avoir retrouvé la maison de ses parents à l’abandon dans le petit village de son enfance, décide, au hasard, de prendre le train pour Taulkinham (« J’vais à Taulkinham » dit-il et, se renfonçant sur son siège, il regarda par la fenêtre. « J’y connais personne mais j’ai des choses à y faire. J’vais y faire des choses que j’ai encore jamais faites. »). Ce qu’il va y faire, la mission dont il se sent investi, c’est prêcher pour « l’Eglise du Christ sans Christ », une improbable église qu’il s’est tout seul inventé. Mais c’est sans compter sur la concurrence sordide des autres prêcheurs de la ville, qu’il lui faudra éliminer ; en particulier Hawks, un redoutable faux aveugle, et sa fille Sabbath (un nom prédestiné…), nymphomane vampirique par qui il se laissera séduire pour connaître un nouvel enfer. Lorsque, enfin débarrassé d’elle, il se brûlera volontairement les yeux à la chaux vive – non pas pour mieux y voir, tel Œdipe, mais comme preuve suprême de sa foi aveugle -, il tombera dans les rets de sa logeuse qui manœuvre pour l’épouser, non par amour ni même par compassion, mais avec le misérable projet d’accaparer sa maigre pension de blessé de guerre.
On trouvera donc la misère dans ce livre (davantage encore existentielle que matérielle), l’absolue solitude des êtres (nourrie surtout de rejet et de haine de l’autre – le noir, le plus pauvre que soi, l’infirme) et une éperdue quête de sens qui prend la forme la plus affligeante et la plus terrible qui soit, je veux dire la certitude de l’avoir trouvé dans le mysticisme naïf colporté par ces prêcheurs à la fois illuminés et mesquins. Il y a pire que « la misère de l’homme sans Dieu » qui tourmentait Pascal : c’est la misère de l’homme avec ce Dieu-là, cette foi-là.
Écrivain profondément catholique, Flannery O’Connor en fait l’arrière-plan de toute son œuvre, romans et nouvelles, peuplée de petites gens qu’habite l’obsession de leur « salut » et la pitoyable attente d’une « grâce » qui ne les touchera le plus souvent qu’au moment de la mort. Elle les dépeint avec une acuité sans concession, un art exceptionnel du détail le plus pertinent et un remarquable sens de cette observation distanciée qui s’apparente au regard de l’entomologiste. « L’art romanesque, écrit-elle, consiste très rarement à dire, il consiste à montrer les choses. » Cela vaut vraiment la peine d’y aller voir : on se remettra difficilement de ces « choses » que Flannery O’Connor nous montre…
Suggestion(s) de lecture : Ce volume contient également un second roman et l’intégralité des nouvelles, toutes de la même trempe (comme on pourrait parler « d’acier trempé »), ainsi que la correspondance et surtout une série d’essais sur la littérature dont le texte d’une remarquable conférence traitant de « L’art de la nouvelle ».
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Georges-André Quinou
(première critique)
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Genre : Fiction
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Édition : Quarto Gallimard, 2009
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2/1/2010
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