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mutilation sacrificielle et l'oreille de Vincent Van Gogh (La)
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Bataille, Georges
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L'automutilation est quelque chose de bien plus répandu qu'on ne se l'imagine… Entrent dans cette catégorie le fait de se blesser, le fait de s'exposer inconsciemment à la blessure, plus ou moins gravement, plus ou moins régulièrement, mais toujours dans le but de faire comparaître le vivant au vu de tous ou de soi seul, de quelqu'un qu'on aime ou de n'importe qui.
Georges Bataille, en dépit d'un penchant morbide qui peut rebuter, reste un penseur incontournable du phénomène sacrificiel. Bataille, qui parle de décadence à propos de la disparition progressive et aujourd'hui quasi complète des pratiques sacrificielles, reconnaît tout de même une distinction entre ce qu'il appelle les formes classiques du sacrifice et les formes les plus folles de l'automutilation. Ce second sens, celui du sacrifice institué, nous ne le comprenons plus. Rejet de l’autre, et donc de soi-même? Et puis en un sens, et encore est-ce assez mal accepté à grande échelle, l’on dira : ce n’est pas mon problème, je n’ai rien demandé.
Nous ne comprenons pas qu'on sacrifie un animal, voire un humain, pour s'attirer la clémence d'un dieu; nous jugeons scandaleux qu'on torture un individu pour le punir ou lui extirper une vérité; nous restons stupéfaits devant le récit d'un homme qui en pleine rue s'arrache un doigt avec les dents.
Après avoir dégagé les deux finalités propitiatoire ou expiatoire de l'acte de mutilation, Georges Bataille coupe court avec ce qui les distingue pour mettre l'accent sur ce qui les rapproche : une altération de soi, une rupture dans l'ordre homogène et continu du temps. On passerait là d'un plan réel, celui de la mutilation du corps, généralement d'un membre, à un plan symbolique, altération de la personne, de sa façon de voir et de sentir. À un niveau plus élémentaire que celui où se situent les religions instituées et les pratiques collectives, à un niveau plus modeste donc, plus restreint, chacun pratique, au plan du corps, en se blessant ou autrement - sans même occulter les faits plus graves, jusqu'à la mort qui est quelquefois la conclusion tragique d'une mutilation - ce que l'on pourrait appeler un petit sacrifice, une petite altération de sa personne, mais ayant dans certains cas une valeur symbolique qui fait jalon dans le destin d'un individu et peut le conduire vers un épanouissement, au moins une remise en question, une exigence de surmontement.
N'est-ce pas même ce que tout un chacun en général fait chaque jour, à compter du moment où le sommeil est rompu avec son enveloppe dans laquelle le dormeur s’est glissé subrepticement?
L’ensommeillé sacrifie son cocon pour pratiquer la mutilation salutaire de son réveil matinal : ouvrir la bouche, les yeux, de laquelle doit naître la vue et la parole qui dit présence et existence, temporalité et territorialité, que le présent est nôtre. « Je tends les mains. Dans la semi pénombre je cherche un appui. Je fais un pas. »
Imperceptiblement, l’on se rapproche des autres.
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Christiane Mélin
(332 critiques, cliquez pour les voir)
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Genre : Arts et littérature
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1/1/2007
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