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Gouri, Haïm
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Publié en 1965 en Israël, L'Affaire chocolat est un texte déconcertant, dont tous les détails ne sont pas faciles à saisir, en raison d'une inscription géographique et d'un déroulement chronologique précis. Disons tout d'abord que ce court récit confronte les destins de deux juifs qui se retrouvent « après le déluge » dans une ville d'Europe de l'Est où cohabitent les armées russe et américaine.
Ce pourrait être Vienne?
La narration commence sur un ton qui rappelle Beckett. Deux hommes, Robi et Mordi, qui se sont retrouvés par hasard dans une gare, évoquent leur passé. Mais leurs gestes et leurs comportements trahissent l'emprise persistante des années de camp. Ainsi, dans un restaurant populaire, est-ce pour eux un luxe que de laisser la soupe parce qu'elle a refroidi.
Leur but, ce serait d'émerger, il leur faudrait réapprendre à vivre, en retrouver le désir. L'un pousse l'autre à aller voir des prostituées afin qu'il fasse l'amour une première fois. Ni l'un ni l'autre n'est sûr d'avoir l'appétence de vivre, car c'est aussi ce désir de vivre que le système concentrationnaire s'est acharné à détruire en eux.
Le livre changera de ton à partir du moment où l'un devra évoquer l'autre au passé. Celui qui survivra au suicide de l'autre cessera d'attendre une aide ou un signe, il imaginera plutôt un stratagème pour échapper à la misère. Ce sera l'« affaire du chocolat ». Des surplus sont importés par l'armée américaine. Si on faisait courir le bruit qu'une substance y a été introduite pour modérer la libido des soldats auxquels ce chocolat noir était destiné, plus personne ne voudrait l'acheter. En achetant des stocks et en démentant par la suite cette rumeur, on disposerait d'un chocolat revalorisé. Ne resterait plus qu'à l'écouler au prix fort.
Haïm Gouri, né à Tel Aviv en 1923 avant la création d'Israël, ce que l'on appelle là-bas un sabra, nous offre en souvenir de son expérience de nombreux poèmes et récits dont ce livre, inspiré de sa vie. Envoyé en mai 1947 en Europe afin de rapatrier des rescapés de la shoah à la Hongrie, la Tchécoslovaquie, l'Autriche. C'était sa première rencontre avec l'Europe. Il en est durablement touché et même très ébranlé.
Ce conte singulier frappe par une approche dénuée de toute considération terrifiée comme il le fut. Plutôt que de décrire Auschwitz, Haïm Gouri s'attache à ceux qui le portent toujours en eux.
Outre qu'elle a blessé le désir de vivre, la barbarie nazie a endommagé bien des repères moraux, même chez ses victimes qui lui ont survécu.
En un sens, ce livre est une fable sur la dimension inéluctablement fragile mais aussi politique de notre existence. Nous sommes tous des Robi en puissance!
Elie Wiesel écrit au sujet de cette œuvre : « En racontant l'histoire de ces survivants, il rapproche le lecteur de ceux qui sont morts et ont emmené leurs rêves avec eux. »
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Christiane Mélin
(332 critiques, cliquez pour les voir)
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Genre : Fiction
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, 2005, 155 p. , ISBN : 2264039361 Traduit par Rosie Pinhas-Delpuech
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9/1/2006
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