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Borrelli, Paul
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Je me suis régalé avec un chef-d'oeuvre qu'il faut découvrir de
toute urgence. C'est un roman d'un certain Paul Borrelli, aux
éditions de l'Atalante. Il s'appelle Trajectoires terminales. Je sais
que l'auteur a publié deux autres romans, mais je ne les ai pas
encore lus; on m'a dit qu'ils étaient fabuleux aussi.
Que dire sur un tel roman? C'est un mélange un peu particulier
de roman noir très noir et de science-fiction, dont l'action se situe
à Marseille. Le ton est coupant comme une lame de rasoir, avec
des pointes d'humour assez inattendues, un goût prononcé pour la
loufoquerie, et une approche très subtile des personnages, à
croire que l'auteur a fait des études de psychologie ou est
psychiatre.
Dans quelques années, Marseille et Toulon finiront par ne former
qu'une seule cité gigantesque, reliée par un immense réseau
d'autoroutes, avec des toboggans dans tous les sens, surmontés
de gratte-ciel à moitié inachevés et d'un fouillis de passerelles. Le
tout cerné par endroits de zones sinistrées, résultant de
bombardements, après un conflit assez énigmatique du reste. Sur
cette autoroute, un débit très important de véhicules.
Et voilà qu'un individu passablement dérangé se met à bombarder
les voitures avec des fragments de statues en bronze!
L'auteur nous entraîne avec brio sur deux enquêtes. La face officielle
des choses, c'est l'inspecteur Canavese, brillant, acharné, nanti
d'un caractère de cochon mais très efficace. Lui, il va se
promener dans les milieux de l'art contemporain, et il en sera
pour ses frais. Des jobards, il va en rencontrer, plus qu'il n'aurait
cru au départ. La face officieuse, c'est Serge Lançon, un individu
louche qui gagne sa vie en vendant des machines à tuer. Empêtré
dans une vie personnelle pour le moins chaotique (il a recueilli chez lui un
junkie qui dévaste tout quand il est en manque), Lançon
va se prendre d'affection pour Marina, l'unique rescapée des
attentats, paralysée mais stoïque. Il lui promet de retrouver le
salaud qui l'a mise dans cet état.
La procédure suivie par Lançon pour enquêter défie la logique.
Autant Canavese est méthodique, procédural, autant Lançon est
intuitif, voire paranormal, puisqu'il utilise des visions auxquelles il
est sujet, grâce à une drogue que, si j'ai bien compris, il a
absorbé massivement il y a quelques années (version noire et
baroque d'Obélix et la potion magique).
Et voilà Serge Lançon parti en dérive sur l'autoroute, en
compagnie de Dutilleux, un coéquipier ringard et obséquieux, qui
va se révéler rapidement être tout autre chose que ce qu'on
croyait... Au plan des surprises et coups de théâtre, le roman en
réserve plus d'une, assez terribles du reste. Je ne vendrai pas la
mèche mais vous ne serez pas déçus du voyage!!! Entre autres,
vous ferez connaissance avec Sylvie Martoselli, une pianiste
classique de toute beauté, aussi séduisante que redoutable. Il y a
aussi les frères Lemoul-Rogaray, sculpteur et photographe, aux
personnalités complexes. Et puis vous rencontrerez l'homme
néo-primitif, qui a renoncé à la civilisation pour vivre nu enfermé
dans une cage et qu'on nourrit avec grandes précautions à la
viande crue. Au hasard de cette course hallucinée contre la perte
de mémoire, vous assisterez à l'entretien de Lançon avec Santo
Vives, un homme qui vit dans une tour penchée et dresse un
cafard baptisé Grégor Samsa à résoudre des problèmes
mathématiques, allusion non voilée à l'univers de Kafka, proche
de celui de l'auteur à plus d'un titre. Vous apprendrez également
pourquoi ce même Santo Vives a flingué un jour son
réfrigérateur. Et vous serez verrez comment Lançon tombe amoureux
de Nadia, jolie marginale qu'il recueille à bord de son camion lors
de son périple sur l'autoroute.
Oui, car ce livre est hanté continuellement par la présence de
l'autoroute, de la perte des points de repères, voire de l'identité.
Du reste, il se réclame directement de l'influence du Crash! de
Ballard, qu'il cite au début du texte. Mais au chapitre des
influences, on ne peut pas éviter de citer Dick, bien évidemment,
mais aussi Brussolo, lui aussi cité en exergue, et surtout James
Ellroy, à cause du ton, du climat, et de la complexité de l'enquête.
On l'aura compris, nous tenons là un auteur de très grand talent,
capable à la fois d'une très grande subtilité et d'une redoutable
efficacité, ce qui n'est pas toujours facile à concilier. Borrelli y
réussit à merveille.
Il faut lire absolument Trajectoires terminales, c'est sans aucun
doute le meilleur roman que j'aie lu à ce jour.
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Michel Hubert
(première critique)
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Genre : Mystère et Policier
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| | Date :
avant 2001
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