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Grass, Günter 
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Günter Grass nous livre l'histoire d'un naufrage autour duquel se cristallisent des destins distants d'un demi-siècle. Le roman En crabe de Günter Grass révèle les pans obscurs de vies fantomatiques, survivantes, victimes et coupables. L'avancée « en crabe » du récit projette sur cette écriture l'ombre des fuites devant une réalité pourtant impossible à contourner.
Les histoires officielles, soviétique et allemande, passent sous silence le naufrage du Wilhelm Gustloff, le 30 janvier 1945.
Le narrateur est sur ce bateau : il naît en plein naufrage. Sa mère lui en rebat les oreilles, sa vie durant, sur ce jour. Bien que refusant d'écrire sur cet événement, il consulte un site Internet qui propose, dans une lecture d'extrême droite, la relation méthodique et précise des événements. Sur le chatroom, les pseudonymes David et Wilhelm s'affrontent avec virulence, le premier se dit juif, le second est « un porc de nazi ». Ils se passionnent pour le naufrage du Wilhelm Gustolff.
Tous les personnages ont leurs pensées plaquées vers cette histoire irrésolue, demeurée dans l'oubli. Cette attention, délibérée ou contrainte, réactive l'horreur d'hier qui intervient et ressurgit dans la réalité d'aujourd'hui. Grass met à nu les fils obscurs qui relient passé et présent et culminent dans la consécration criminelle de Konrad, alias Wilhelm, le fils du narrateur.
Ce texte est une immersion totale dans les conditions historiques et psychologiques qui déterminent, des années auparavant, les naufrages, celui du Gustloff et celui de Konrad. C'est avec la minutie du peintre, l'habileté de l'historiographe et la subtilité du psychologue que Grass brosse le tableau tourmenté d'une famille éprouvée par les répétitions de l'histoire. Cette application velléitaire, exploration contrainte, révulse le narrateur qui voudrait vivre dans l'oubli.
Cette avancée en crabe, aux éléments d'abord éparpillés et sans rapport évident les uns avec les autres, sa progression hésitante et difficile, comme le trajet d'un bateau sur une mer glacée, réactive le passé et témoigne d'une synthèse effroyable entre le souvenir occulté à force de déni et une pensée chaotique bouleversée par le silence.
Des fronts dramatiques multiples et enchâssés s'apparentent à une mise en abyme de l'histoire allemande.
Grass convie le lecteur à une exploration méthodique, captivante et bouleversante des angoisses d'êtres humains liés, cinquante ans après les faits, par un drame. Il se livre également ici à une réflexion amère sur les silences de l'Histoire.
Un roman captivant, aux ramifications subtiles, où la construction est si finement élaborée qu'elle investit savamment les fondements narratifs du récit, celui-ci s'étoffant encore d'une observation implacable des sentiments incompressibles nés de l'inexprimable culpabilité.
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Christiane Mélin
(332 critiques, cliquez pour les voir)
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Genre : Fiction
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9/1/2007
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