Message posté par denis76Une sincérité exceptionnelle.
Ce petit livre est une maïeutique entre l'auteur né infirme en 1975 et Socrate pour faire un bilan philosophique à partir de la biographie de l'auteur.
Alexandre Jollien naît IMC (infirme moteur cérébral) et passe 17 ans dans un centre médical, où le personnel soigne sans aimer. Les patients, au mieux travaillent pour faire des boîtes à cigare. A force de volonté, il arrive pratiquement à l'autonomie physique, intègre une école de commerce "normale", puis fait des études de philosophie.
Ce dialogue imaginaire avec Socrate permet de soulever différentes émotions et questions :
-- le camarade handicapé total qui se soucie de la santé d'Alexandre : quelle empathie !
-- Quand il intègre le monde "normal", le mal que font les moqueries et la pitié, sur les handicapés : la philosophie peut elle leur être utile ?
-- Qu'est ce que la normalité et l'anormalité ? Socrate, qui "marche droit" mais dérange, condamné par 120 juges, est il anormal ? A contrario, la nageuse heureuse, qui rayonne, mais n'a ni bras ni jambes, est elle normale ?
Deux remarques par rapport à ce livre qui m'a touché :
-- J'ai eu une dissertation à l'agrégation sur "santé et EPS" : en introduction, j'ai posé la question : Stephen Hawking, le chercheur anglais complètement paralysé qui a découvert les "trous noirs", est il normal, est il en bonne santé ?
-- Au début de ma carrière, j'ai enseigné dans un établissement pour handicapés (cancer, myopathie, dégénérescence osseuse,...) à Flavigny-sur-Moselle. Les élèves étaient tous en fauteuil. C'est fou ce que ces gamins m'ont apporté :
moi qui instaurait "3 poussées de roue, et on passe la balle au basket", ou qui était de corvée de ramassage de balles au tennis de table, j'ai été choqué quand un gamin, une jambe coupée à cause d'un cancer, me confia :
"La prof d'anglais m'a mis zéro ce matin. Je m'en fous, je vais crever l'an prochain."
J'ai été touché quand ce même gamin, en fin d'année, me demanda en se levant sur sa jambe unique:
"Allez, prenez mon fauteuil, et faites une course avec les autres !"
Au bout de 50 m, moi le nageur de niveau national, j'étais loin derrière tous ces champions de roues arrières.