On a toujours le choix
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Sujet: On a toujours le choix
Posté par: luciole
Sujet: On a toujours le choix
Posté le: 12 décembre 2006 à 11:50
Texte pour un concours amical d'il y a longtemps.
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- Laisse-moi encore un peu s'il te plait !
- Non, tu n'as pas le droit. Tu sais très bien que le temps est compté. Allez, réveille-toi !
Malheur, son temps de rêve était déjà fini ! Timdek ne l'avait pas vu passer. Il était si bien dans le ciel à voler !
Il se leva, doucement, et laissa sa place à Nimléa qui s'allongea avec délices. A son tour d'aller s'occuper d'alimenter la machine. Il se plaça devant le kifève de l'étage, et commença à taper sur les trois touches d'un minuscule clavier.
Il se permit de fermer les yeux, mais veilla à continuer ses mouvements de doigts. Si jamais un contrôleur entrait et qu'il était endormi hors du temps autorisé…
Personne ne savait réellement comment la machine transformait cette suite de chiffres en énergie, ni de quelle sorte d'énergie elle se nourrissait d'ailleurs. Etait-elle vivante ? Quelle volonté avait-elle ? Ou ceux qui l'avaient inventé ?
En tous les cas, depuis sa naissance Timdek vivait au rythme de la machine Kifève. Il n'était pas le seul. Tout le monde ne vivait que pour nourrir la machine, qui elle, nourrissait en retour le sommeil de rêves.
Des rêves magnifiques, mais surtout que le rêveur peut contrôler. Ainsi Timdek passait le plus clair de son temps de sommeil à voler.
Bien sûr il y eut des gens pour tenter de profiter de la Kifève. Soit pour rêver à longueur de temps, au risque même de se laisser mourir de faim et de soif pour dormir le plus longtemps possible. Soit en prenant dans leurs rêves le pouvoir chaque nuit, bien que cela n'aie aucune incidence sur la vie réelle. D'autres encore cherchaient pendant leur temps de saisie des formules qui expliqueraient le lien des trois chiffres et de la fabrication des rêves. Mais ils avaient tous échoués pour l'instant.
Comment pouvaient-t-ils espérer trouver un sens à cela alors que dans chaque étage les gens cliquaient selon leur bon vouloir sur les trois touches à leur disposition ?
Timdek avait changé une nouvelle fois d'ordre de frappe. Il n'avait pas de consigne précise, il tapait depuis un bon moment 321 et maintenant passait à 132, histoire de changer un peu. Chacun pouvait unir comme il le souhaitait les trois chiffres, la machine prenait tout. Allez calculez ça… Dans sa jeunesse, Timdek avait comme tous les enfants essayés de s'amuser à taper très vite, ou lentement, ou toujours la même touche… Mais ce n'était en rien dérangeant, et il s'était lassé, comme tous les enfants. Maintenant il pensait juste à faire passer le temps pour de nouveau pouvoir s'allonger et s'échapper.
Il entendait Nimléa rire doucement sur le lit. Et les autres dormeurs de l'étage avaient tous le sourire aux lèvres. Tous les rêves de la Kifève étaient agréables, puisqu'ils se transformaient selon les désirs des dormeurs.
Soudain un homme ouvrit la porte du dortoir. Il portait l'uniforme des GDR, et inspecta l'étage rapidement avant de reporter son regard sur Timdek.
- Encore combien de temps de veille ? lui demanda-t-il
- un demi-rêve. Répondis Timdek en lui montrant le sablier d'un geste.
- Courage, bientôt tu seras libre, Bonrêves. Finis-t-il en tournant les talons.
Les Gardiens des Rêves passaient à chaque étage plusieurs fois par jour et nuit pour surveiller les Veilleurs. Un veilleur qui serait pris à dormir alors qu'il devrait actionner les touches subissait une lourde peine. La peine maximum étant d'être privé de sommeil, et ensuite de Kifève pendant une période plus ou moins longue. Timdek avait même entendu des histoires de criminels qui n'auraient plus jamais droit au sommeil de la Kifève pendant toute leur vie. Il frissonna.
"Bientôt libre"… oui… D'une main, il attrapa un carré nourrissant et la capsule hydratante, et goba le tout rapidement. Repas habituel. Il n'avait jamais goûté autre chose, et n'imaginait pas autre chose d'ailleurs. SI ! Il ne pouvait s'empêcher de penser à ces aliments qu'il voyait en rêve parfois, comme il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'il se passait dans les couloirs du dortoir, et en dehors du bâtiment.
Les seules fenêtres qui parsemaient les murs donnaient sur un autre mur, d'autres fenêtres, d'autres dormeurs. Tout le monde se contentait de cette vie, puisqu'il n'y avait rien d'autre à essayer. Ceux qui tentaient de découvrir le monde extérieur (mots vagues qu'on ne pouvait pas illustrer par quoique ce soit) ne revenaient jamais, et on pensait qu'ils se volatilisaient dans le néant. De toute façon, personne ne voulait essayer de vivre sans la Kifève.
Personne, sauf parfois Timdek. Il avait souvent ces réflexions pendant qu'il tapait inlassablement sur ses trois touches, en attendant la relève… Mais il ne pouvait pas tenter ce à quoi il pensait. Il n'avait pas le choix… pas le choix… Qui lui avait dit le contraire un jour ? "On a toujours le choix" Ah, un dormeur qu'il avait connu dans son enfance. Ils apprenaient à taper avec patience à plusieurs, et un de ses camarades avait trop d'énergie pour rester silencieux, il se faisait souvent punir. "On a toujours le choix" lui avait-il dit un jour. Le lendemain, il n'était plus à l'exercice de frappe, et en fait Timdek ne l'avait jamais revu… Comment s'appelait-il déjà ? …
DZZZ !!! Une décharge électrique lui secoua le bras. Il avait arrêté de taper ! Quelques dormeurs remuaient déjà, leurs rêves se dissipaient. Timdek se dépêcha de reprendre son mouvement, accélérant l'allure pour essayer d'effacer ce moment d'inattention, bien qu'il sache que le rythme ne changerait rien au fait qu'il se soit arrêté. Cela faisait très, très longtemps que ça ne lui était pas arrivé ! La sanction ne se fit pas attendre, le GDR de tout à l'heure ouvrit la porte quelques minutes après. Il ne semblait plus du tout compréhensif et aboya
- Qu'est ce qu'il s'est passé ? Tu ne dormais pas, j'espère !
- Non, heu… pardon… je … pensai
- Quoi ? Quel intérêt ? Et c'est loin d'être une raison valable pour empêcher les autres de rêver, tu te rends compte si tout le monde s'arrêtai de nourrir la Kifève pour penser ?
- Je suis désolé, ça ne se reproduira plus… s'excusa encore Timdek en continuant à taper.
- Mhh, de toute façon, le conseil a décidé de te faire veiller un quart de rêve de plus. Tu peux le remercier, c'est peu pour une faute aussi grave.
- Oui, m… merci. Dit Timdek en baissant la tête.
- Bon, travaille correctement a partir de maintenant. Finis le gardien en claquant la porte.
Timdek soupira, et maudit intérieurement le conseil, les GDR et le monde entier. "On a toujours le choix". Oui, je peux… Il pris la décision aussi vite que la machine envoyait le courant aux mauvais veilleurs. Apres tout, ce choix avait toujours été fait, mais jamais assumé. Il patienta jusqu'à la relève, tournant et retournant des tas d'idées dans sa tête, en prenant garde à ne pas arrêter de frapper. Le dormeur qui devait le remplacer s'agita dans son sommeil… La Kifève gérait aussi cela… Le sablier arrivait à sa fin, mais Timdek était sensé rester un quart de rêve de plus. La relève ouvrit les yeux trop tôt.
- Mhhh… Déjà ? fit un jeune garçon très pâle
- Et oui. Bienrêvé ?
- Super, comme d'hab. Vivement mon prochain sommeil. Pousse-toi un peu !
- Vas-y, c'est bon ? Allez, a toi. Le jeune garçon s'était assis à côté de Timdek et il se mit à enfoncer les touches juste au moment où ce dernier laissai sa main s'arrêter. Enfin. Il se leva, reprit une dose de nourriture et de boisson, et en dissimula 4 de chaque dans ses mains en se dirigeant vers le lit libre. Le jeune nouveau veilleur était occupé à regarder ses touches…
Timdek enfourna les cubes dans le drap du lit, y plaça la seule tenue de rechange qu'il possédait, et se dirigea vers la porte.
- Qu'est ce que tu fais ? demanda le pâle avec un regard ahuri
- Comment tu t'appelle ?
- Noukim. Qu'est ce que tu fais ? Tu ne va pas rêver ?
- Si… Mais tout seul. N'arrête surtout pas de taper, hein ?
- Bien sûr que non ! Je ne suis plus un gamin !
- C'est vrai. Déjà programmé… Bon, au revoir. Rappelle-toi juste qu'on a toujours le choix.
Timdek ouvrit la porte. Ce simple geste, il l'avait tellement fantasmé ! La poignée était froide et solide comme le lit, rien de particulier. Elle tourna facilement, rien ne se déclencha. Il passa la porte. Le couloir était gris, tout comme la chambre qu'il venait de quitter. Il tituba un peu, ça fait longtemps qu'il n'avait pas marché droit aussi longtemps, sans rencontrer un mur ou un lit. Il laissait courir sa main sur le mur, jusqu'à ce qu'il arrive à l'escalier. Il écouta un moment en silence pour repérer un éventuel GDR, mais aucun bruit. Plus de respirations autres que la sienne, plus de tchak tchak tchak des touches de la Kifève. Il descendit les marches, d'abord très lentement, puis le plus vite possible. Il manqua plusieurs fois de peu de tomber. Il parvint enfin au dernier palier. Toujours aucun bruit, ni mouvement.
On dirait que l'immeuble est une énorme carcasse vide… Comme sa vie. Une lourde porte noire bloquait le mur du fond. Il s'avança vers elle, la poussa et ferma les yeux. Un rayon de soleil s'engouffrait par l'ouverture. Il eut l'impression que sa main brûlait, et il pleura. Est-ce que c'était dangereux ? Pouvait-il survivre dehors, avec cette lumière chaude ? Il referma la porte et reprit son souffle, adossé à elle. C'était le dernier rempart de sa vie actuelle. Il commençait déjà à regretter de ne pas s'être couché, il serait déjà en plein ciel… un ciel bleu, avec le soleil ! Mais dans ses rêves, les sensations n'étaient pas aussi grandes.
De nouveau il sépara les battants épais. Cette fois il passa le seuil, et la porte se ferma derrière lui. Il était dehors. Il gardait les yeux fermés, mais le soleil était tout de même dur à supporter. Par contre, il se sentait transpercé de chaleur, jamais il n'avait ressentit ça ! Comme s'il fondait ! Au bout d'un long moment, il risqua de nouveau un regard. Cela ne lui fit plus aussi mal. Il découvrit des immenses rectangles de béton alignés à perte de vue…
Il marcha, pendant de multiples rêves… Il courut, jusqu'à ne plus pouvoir respirer. Il sautait, gambadait… Criait, inventait des chansons qu'il hurlait aux blocs gris, aux GDR, aux autres dormeurs… Enfin, il aperçut une autre couleur… Du vert ! Une nappe verte au lieu du gris sale du chemin qu'il suivait. Quand il arriva sur cette étendue, il sentit les brins d'herbes lui caresser les doigts, et quand il releva la tête, vit quelqu'un.
Un enfant en fait, sale, avec un visage rieur et excité.
- Il y a un nouveau sauvé !! Papa ! Maman, quelqu'un est arrivé des cimetières gris !!
Deux autres personnes s'avançaient. Leur peau était si foncée !! Tous les dormeurs étaient vraiment pâles par rapport à eux, lui y compris.
- Bienvenue dans la vraie vie. Ici nous ne vivons pas pour rêver, mais nous faisons de notre vie ce que nous voulons, sans la Kifève. Suis-nous…
Timdek s'élança à la suite des gens libres, appris à laisser ses rêves se dérouler sans son contrôle, et gouta enfin les fameux fruits qu'il avait vu auparavant grâce à la Kifève.
------------- "Sans mots, il ne ressentirait rien."
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Réponses:
Posté par: Patrick Delay
Posté le: 08 janvier 2007 à 14:53
Très sympathique comme texte.
Cette machine infernale qui se nourrit de liberté en échange de quelques rêves préfabriqués ne serait elle pas, de nos jours, une super console de jeux vidéo multijoueurs.
Lorsque l'on voit tous ces jeunes et moins jeunes... Chacun concentré sur sa manette comme si sa vie en dépendait...
Il y a pire comme accoutumance mais tout de même ...
------------- La culture c'est ce qui reste quand on a tout oublié... J'ai oublié de qui c'était Encore faut-il qu'il reste quelque chose
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