Présentation à l'endos
Un jeune homme de vingt-trois ans a quitté son pays de façon précipitée. Un homme épuisé y retourne trente-trois ans plus tard. Le jeune homme est passé de l'étouffante chaleur de Port-au-Prince à l'interminable hiver de Montréal. Du Sud au Nord. De la jeunesse à l'âge mûr. Entre ces deux pôles se trouve le temps pourri de l'exil.
Une nuit, un coup de fil lui apprend le décès de son père à New York. Ce père qu'il n'a pratiquement vu qu'en photo. Cet événement lui fait quitter la baignoire pour prendre la route. D'abord n'importe où, vers le nord: comme un adieu à cet univers de glace qui l'a tenu au frais si longtemps. Puis à New York pour les funérailles de son père, que l'exil avait rendu fou. Et le voici à Port-au-Prince, où il se terre dans une chambre à l'hôtel, n'osant regarder cette ville qu'il a tant rêvée là-bas dans sa baignoire, à Montréal.
Critique
Si on accepte de suivre les réflexions et anecdotes disparates de l'auteur, son mélange constant de forme narrative et poétique (haïku semble-t-il) et la lenteur de ses propos dans un roman absolument pas linéaire, alors nous sommes devant un ouvrage fascinant et marquant. Pour moi, la magie a opéré.
Bien sûr les thèmes du retour au pays et, dans une moindre mesure, celle de la perte du père, y sont présents, Mais le plus frappant est cette capacité de Laferrière de nous faire vivre Haïti de l'intérieur: la faim, la peur constante, les disparités sociales, la désorganisation, le désespoir, la vaudou mais aussi les couleurs flamboyantes, la sensualité, la joie de vivre, la générosité et l'entraide. Moi qui suis absolument allergique à toute forme de misérabilisme, rien ne m'a fait sourciller au contraire; pas de complaisance, mais un regard à la fois lucide et étonné de celui qui rentre au bercail.
Parfois on se laisse bercer par les mots, d'autres fois par des images alors que d'autres réalités nous interpellent durement et nous font soudainement changer d'état d'âme... C'est le genre de livre qui pourrait traîner dans le coin lecture: on ouvre n'importe où et on trouve matière à réflexion ou à ravissement, mais il n'y a jamais rien de vide.
Extraits
Toujours trop d'espoir devant soi
Et trop de déceptions derrière soi.
La vie est ce long ruban
qui se déroule sans temps morts
et dans un mouvement souple
qui alterne espoir et déception.
Le jeune homme qui balaie
avec tant d'énergie la cour de l'hôtel
si différent du vieux d'hier matin
semble avoir la tête ailleurs.
Balayer, parce qu'elle permet de rêver,
est une activité subversive.
L'énigme du retour
Dany Laferrière
Boréal, 2009
ISBN 978-2-7646-0670-4
------------- Tant qu'on a pas aimé un animal, une partie de l'âme... reste endormie - Anatole France
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