Le Cimetière de Prague _ Umberto ECO
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Categorie: Littérature
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Sujet: Le Cimetière de Prague _ Umberto ECO
Posté par: loic
Sujet: Le Cimetière de Prague _ Umberto ECO
Posté le: 16 mars 2014 à 06:07
GRASSET, 2011, ISBN: 9782246783893
Résumé
De Turin à Paris, en passant par Palerme, nous croisons une sataniste hystérique, un abbé qui meurt deux fois, quelques cadavres abandonnés dans un égout parisien. Nous assistons à la naissance de l'affaire Dreyfus et à la création de l'évangile antisémite, Les Protocoles des sages de Sion. Nous rencontrons aussi des jésuites complotant contre les francs-maçons, des carbonari étranglant les prêtres avec leurs boyaux. Nous découvrons les conspirations des renseignements piémontais, français, prussien et russe, les massacres dans le Paris de la Commune où l'on se nourrit d'illusions et de rats, les coups de poignard, les repaires de criminels noyés dans les vapeurs d'absinthe, les barbes postiches, les faux notaires, les testaments mensongers, les confraternités diaboliques et les messes noires...
Critique
Le cimetière de Prague traite de l'antisémitisme en Europe au XIX° au travers d'un personnage dénué de morale. Ce dernier ayant perdu la mémoire, il décide de réécrire sa vie dans un journal intime pour permettre à ses souvenirs de revenir. Le ton est donné dès le début, car ce Simonini se définit au travers de ce qu'il aime, ce qui est très rapide et se résume à la bonne bouffe. Vient ensuite ce qu'il déteste : les gens :
"Les années de mon enfance ont été attristées par leur fantôme [les Juifs]. Mon grand-père me décrivait ces yeux qui t'espionnent, trompeurs à te faire blêmir, ces sourires visqueux, ces lèvres de hyène retroussées sur leurs dents, ces regards lourds, viciés, abrutis, ces plis toujours inquiets entre nez nez et lèvres, creusés par la haine, leur nez, ce nez comme le vilain bec d'un oiseau austral... Et l'œil, ah l'œil... Fébrile, il roule dans la pupille couleur de pain grillé et révèle des maladies du foie corrompu par les sécrétions dues à une haine de dix-huit siècles, il se plie mille ridules qui s'accentuent avec l'âge, et déjà, à vingt ans, l'Israélite semble fané comme une vieillard. [...]
Les Allemands, je les ai connus, j'ai même travaillé pour eux : le plus bas niveau d'humanité concevable. Un Allemand produit en moyenne le double de matières fécales qu'un Français. Hyperactivité de la fonction intestinale au détriment de la cérébrale, ce qui démontre leur infériorité physiologique. [...] L'Allemand vit dans un perpétuel embarras intestinal dû à l'excès de bière, et de ces saucisses de porc dont il se gave. [...] L'abus de bière les rend incapable d'avoir la moindre idée de leur vulgarité, mais le comble de cette vulgarité est qu'ils n'ont pas honte d'être allemands. [...]
Depuis que je suis devenu français, j'ai compris combien mes nouveau compatriotes étaient paresseux, arnaqueurs, rancuniers, jaloux, orgueilleux sans bornes au point de penser que celui qui n'est pas français est un sauvage, incapables d'accepter des reproches. Cependant, j'ai compris que pour amener un Français à reconnaitre une tare dans son engeance, il suffit de lui dire du mal d'un autre peuple, comme par exemple "nous, les Polonais, nous avons ce défaut ou cet autre défaut", et, puisqu'ils ne veulent être à nul autre seconds, fut-ce dans le mal, aussitôt ils réagissent avec un "oh non, ici en France, nous sommes pires", et allez zou de déblatérer contre les Français, jusqu'au moment où ils se rendent compte que tu les as pris au piège. [...] Ils sont méchants, ils tuent par ennui. C'est le seul et unique peuple qui a occupé des années le temps de ses citoyens à se couper réciproquement la tête, [...] Ils sont fiers d'avoir un Etat qu'ils disent puissant mais ils passent leur temps à tenter de le faire tomber : personne n'est expert comme le Français à dresser des barricades pour toute raison et à tout frémissement de vent, souvent sans même savoir pourquoi, se laissant entraîner dans la rue par la pire canaille. Le Français ne sait pas bien ce qu'il veut, sauf qu'il sait à la perfection qu'il ne veut pas ce qu'il a. [...] Il croit que le monde entier parle français. [...] Peut-être leur ignorance est-elle l'effet de leur pingrerie - le vice national qu'ils prennent pour vertu et nomment parcimonie. Dans nul autre pays on n'a pu concevoir une comédie entière autour d'un avare. [...]
Si je me suis fait français, c'est parce que je ne pouvais pas supporter d'être italien. En tant que piémontais, je ne me sentais pas plus que la caricature d'un coq gaulois, mais avec des idées plus étroites. Les Piémontais, toute nouveauté les raidit, l'inattendu les terrorise [...]. L'Italien est peu sûr, menteur, vil, traître [...].
Les prêtres [...] j'ai le souvenir obscurs de regards fuyants, de dentitions gâtées, d'haleines lourdes, de mains moites qui essayaient de me caresser la nuque. Pouah ! Oisifs, ils appartiennent aux classes dangereuses, comme les voleurs et les vagabonds."
Dès le début du livre, le ton est donc donné. Les envolées lyriques de ce Simonini m'ont fait rire. Tant de haine, et donc de solitude et de tristesse dans une vie m'ont donné un peu pitié de cet odieux personnage. Malheureusement, le livre perdra un peu de cette verve par la suite (comme souvent chez Eco), mais le style restera de haute tenue (comme toujours chez Eco). Les références historiques sont légions et cette introduction montre que les préjugés sont légions et que tout le monde peut en être victime. Ce personnage abject va en plus se choisir une belle profession : notaire faussaire. Sa passion lui viendra de son maitre :
"Autrement dit, le notaire Rebaudengo, pour des sommes raisonnables, montait des actes falsifiés en imitant si nécessaire l'écriture d'autrui et fournissant les témoins qu'il enrôlait chez les troquets environnants.
_ Que cela soit clair, mon cher Simon, lui expliquait-il, en passant désormais au tu, moi je ne produis pas des faux mais bien de nouvelles copies d'un document authentique qui a été perdu ou qui, par un banal incident, n'a jamais été produit, mais qui aurait pu et dû l'être. Ce serait un faux si je dressais un certificat de baptême où il apparaîtrait, pardonne-moi l'exemple, que tu es né d'une prostituée et à Odalengo Piccolo. Je n'oserais jamais commettre un crime de ce genre parce que je suis un homme d'honneur. Mais si un de tes ennemis, c'est pour dire, aspirait à ton héritage et que tu savais que ce dernier n'est certainement né ni de ton père ni de ta mère, mais bien d'une courtisane d'Odalengo Piccolo et qu'il a fait disparaitre son certificat de baptême pour prétendre à ta richesse, et que tu me demandais de produire ce certificat disparu pour confondre ce truand, je seconderais pour ainsi dire la vérité, je prouverais ce que nous savons qui est vrai, et tu n'aurais pas de remords.
_ Oui, mais comment feriez-vous, Vous, pour savoir de qui est vraiment né ce type ?
_ Mais tu me l'aurais dit, toi ! Toi qui le connais si bien.
_ Et Vous vous fiez à moi ?
_ Je me fie toujours à mes clients, parce que je ne sers que des gens d'honneur.
_ Mais si, par hasard, le client Vous a menti ?
_ Alors c'est lui qui a péché, pas moi. Si je me mets en plus à penser que le client peut me mentir, alors j'arrête d'exercer ce métier, qui est fondé sur la confiance.
Simon n'était pas resté convaincu que le métier de Rebaudengo pût être qualifié d'honnête par d'autres mais, depuis qu'il avait été initié aux secrets de l'étude, il avait participé aux falsifications, surpassant vite le maître et se découvrant de prodigieuses habiletés calligraphiques."
A partir de là, notre odieux héros mettra tout son talent au service de lui-même et de sa haine des Juifs. Toujours construit autour de ce carnet intime, nous suivons la vie du personnage, ces crimes sans scrupules et ses trahisons qui croisent l'Histoire et nous donnent une lecture romancée mais pas si éloigné que ça de la réalité. Prêt à tout pour gagner de l'argent, surtout si en plus ça permet de démontrer la dangerosité des Juifs, il s'allie à la plupart des anti-sémites de l'Epoque et sera l'auteur ou l'inspirateur de nombreux faux célèbres. J'ai un peu décroché au milieu du roman, mais plus à cause de la fatigue, je pense que du livre en lui-même, ayant réussi à me replonger facilement dedans lorsque ma fatigue retomba.
Ce personnage excessif dans ces haines permet à Umberto Eco de démontrer la bêtise et la dangerosité des haines. Le livre est parfaitement renseigné sur l'époque. La première partie est un peu plus difficile car elle traite de l'Histoire d'Italie, moins connu chez nous, évidemment. Quand il arrive en France, les références sont plus connues et permettent de mieux saisir les tenants et aboutissants du livre.
Moins compliqué à lire que la plupart des romans de l'auteur, ce Cimetière de Prague est aussi plus court que la moyenne (pour Eco). La lecture en est simplifiée et on se laisse embarquer dans cette histoire. L'auteur se met clairement au centre de la haine, prêtant le flanc aux critiques, mais il est très clair que l'ensemble du roman dénonce tout cela. La solitude, l'obsession et les travers de son personnage mettent en avant la tristesse d'une vie dirigée par la haine.
Evidemment, on retrouvera quelques longueurs et la fin pourra nous laisser sur notre... faim, comme souvent chez Eco, mais ce livre met en lumière les mécanismes du racismes au travers d'une érudition et d'une documentation sur l'Epoque proprement incroyable. Dans l'ensemble un bon livre donc, mais pas un livre pour se détendre vu l'exigence demandée au cours de la lecture.
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Réponses:
Posté par: amenophis
Posté le: 16 mars 2014 à 11:54
Merci pour ce très bon résumé, tu m'as donné le goût, je vais me procurer ce livre, moi qui n'a jamais lu d'Umberto Eco.
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Posté par: denis76
Posté le: 16 mars 2014 à 12:45
"Le Français ne sait pas bien ce qu'il veut, sauf qu'il sait à la perfection qu'il ne veut pas ce qu'il a."
J'ai peur que ca n'ait pas changé !
"mais pas un livre pour se détendre"
Tu vois, on a du mal à mettre 5 étoiles pour un livre qui ne permet pas de se détendre...Ou de s'évader.
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Posté par: Grominou2
Posté le: 16 mars 2014 à 14:44
Malgré le sujet fort intéressant, j'ai l'impression que ce livre n'est pas pour moi: j'ai souvent de la difficulté lorsque le personnage principal est antipathique (Les Bienveillantes de Littell étant l'exception qui confirme la règle).
------------- Grominou
Mon blogue de lecture: http://jai-lu.blogspot.ca - http://jai-lu.blogspot.ca
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Posté par: loic
Posté le: 17 mars 2014 à 07:48
Message posté par denis76
"Le Français ne sait pas bien ce qu'il veut, sauf qu'il sait à la perfection qu'il ne veut pas ce qu'il a."
J'ai peur que ca n'ait pas changé !
J'avoue que je me pose la question.
Message posté par denis76
"mais pas un livre pour se détendre"
Tu vois, on a du mal à mettre 5 étoiles pour un livre qui ne permet pas de se détendre...Ou de s'évader.
Mon seul 5/5 du site fut pour "Le grand nulle part" qui est loin d'être facile à lire. Là, il n'a pas 5 à cause d'une fin moyenne, de quelques longueurs et d'une intrigue parfois brouillon.
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Posté par: denis76
Posté le: 17 mars 2014 à 11:16
OK Loic
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Posté par: * Ça *
Posté le: 20 mars 2014 à 09:26
De Umberto Eco je n’ai lu que Le Nom de la rose que j’ai trouvé très dense avec plusieurs longueurs. Je n’ai pourtant pas résisté à acheter Le Pendule de Foucault que je n’ai toujours pas lu au cours de ces dix dernières années. Peur de m’embarquer dans une histoire trop longue.
Pourtant je trouve enrichissant de lire cet auteur. Et les extraits que tu poses ne font que me conforter dans cette idée. On y retrouve bien toute la richesse de vocabulaire et l’expérience derrière. Aussi toute la somme de recherche et de travail fait. Un grand respect pour son lectorat.
Mais j’y retrouve également ce qui m’effraie. Écriture dense et parfois longueurs et surabondance de détails jusqu’à la nausée quasiment.
Je crains, mais j’y aspire. Et le résumé que tu en fais m’interpelle et je n'ai pas peur de détester un personnage s'il le faut. En autant que je peux me défouler par la suite en disant qu'il est hautement détestable.
J’ajoute ce titre à une trop longue liste, et peut-être que je me sentirai assez brave un jour pour en tenter la lecture.
Merci Loïc.
------------- *** Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux _ J.Renard
*** Les gens qui ne rient jamais ne sont pas sérieux _ Alphonse Allais
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Posté par: Grominou2
Posté le: 21 mars 2014 à 00:44
J'avais tenté Le Nom de la Rose, mais il m'est tombé des mains! Il faut dire qu'ayant vu le film déjà plusieurs fois, je n'avais pas le suspense pour me soutenir dans les parties plus philosophiques ou théologiques!
------------- Grominou
Mon blogue de lecture: http://jai-lu.blogspot.ca - http://jai-lu.blogspot.ca
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Posté par: * Ça *
Posté le: 22 mars 2014 à 05:45
Malheureusement c'est mon cas lorsque je vois le film avant d'avoir lu le livre. J'ai beau dire que j'aimerais lire le livre, le fait d'en savoir trop prend le pas sur mon envie.
------------- *** Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux _ J.Renard
*** Les gens qui ne rient jamais ne sont pas sérieux _ Alphonse Allais
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