Manifestations occultes
Le « kiou-vitt » strident de la chouette résonnait dans toute la campagne. Il annonçait la venue du crépuscule et brisait un silence auguste, presque étrange, inquiétant, inhabituel en cette période estivale dont les soirées étaient souvent animées par l’euphorie humaine. Ce soir-là, aucun rire, aucune voix, ni même aucun signe d’activité ne troubla la quiétude.
De son piédestal, le faîte d’un poteau téléphonique, Chochotte lança un nouveau cri dans les ténèbres. Elle semblait régner sur ce petit morceau de terre. La nuit lui appartenait.
La petite chouette observa le ballet léger, gracieux, virevoltant des chauves-souris cherchant leurs proies. Les pipistrelles, au vol bas, évoluèrent autour de Chochotte. Elles honorèrent par leur danse endiablée et révérencieuse la reine de la nuit. Un rituel, sans doute.
Le strigidé posait avec fierté dans une immobilité absolue, le regard plongé dans une cuisine baignée de lumière. Derrière la grande porte-fenêtre, sans rideaux, Mme Truc, pleine de vie. Il l’épia dans ses besognes ménagères puis s’envola, avec majesté, dès que la sonnerie du téléphone retentit.
Installée sur le banc en bois, près du tilleul, face au perchoir de la chouette, Imen fut témoin depuis trois soirées de cette même scène. Ainsi, son enquête se poursuivait discrètement depuis ce long siège, un poste d’observation stratégique sur la cuisine et le résultat s’avéra stupéfiant, voire même effrayant.
Chaque soir, d’une manière immuable, figée, tracée, précisément à la tombée de la nuit, Imen assista à la venue de la chouette, au ballet des chauves-souris, à l’appel téléphonique puis à l’envol du petit rapace.
La jeune femme ne pouvait plus croire à un concours de circonstances. Il lui fallait admettre que la régularité et l’ordre constant des faits, malgré leur apparente absurdité, obéissaient aux lois subtiles, précises et indiscutablement logiques d’un univers occulte. La demoiselle, à l’école de la raison, fut désorientée par cet ordre non manifeste qu’elle acceptait difficilement, mais son hypothèse sur l’existence de forces occultes, dans lesquelles chaque élément vibre sans doute en assonance avec les autres dans d’harmonieux réseaux de connexions secrètes, lui sembla irréfutable.
EXTRAIT DE "ENTRE DEUX MONDES" DE SABRINA CHAIX
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