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L'écureuil, un conte bizarre

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Nom du Forum: Vos écrits
Description du Forum: Un petit poème, un petite nouvelle...
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Date: 23 novembre 2024 à 23:02
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Sujet: L'écureuil, un conte bizarre
Posté par: Bobby
Sujet: L'écureuil, un conte bizarre
Posté le: 14 avril 2008 à 23:58
L'écureuil, un conte bizarre de Bob Boutique

Il était une fois un mec tout ce qu’il y a plus convenable, la petite cinquantaine, marié, deux enfants, les tempes qui commencent à se dégarnir, quelques kilos de trop, une voiture de société ( un mec normal, quoi ! ), qui joggait dans la forêt de Soignes en se tenant la hanche d’une main, car il commençait à souffrir d’ un point de côté.

Il sent le café du petit-déjeuner lui monter dans la gorge et regrette déjà son escapade. Il fait frisquet, humide, et ses lunettes se couvrent de buée à chaque fois qu’il exhale un soupir. Car le con s’est tellement dépêché pour enfiler son training , assis de travers, les fesses à l’air, sur le siège de la 4x4, qu’il a oublié d’enlever ses varilux.

Merde de merde. Tout ça pour rentrer à l’appart en roulant les mécaniques, rouge comme une pivoine, et épater sa moitié qui se lève à l’instant et s’assoit en peignoir, derrière la table de la cuisine pour se verser un kawa bien chaud !

Il pourrait s’arrêter et rentrer mollo à la voiture, mais à quoi bon ? D’une part ça gèlerait sa transpiration sur place ( pneumonie assurée ) et il vient de dépasser l’aire de jeux, avec les rondins en bois, qui marque la moitié du parcours. Non. Il ne lui reste plus qu’à forcer l’allure en se traitant de tous les noms.

Un petit espoir, comme ça en passant… celui de croiser la bonne femme qu’il a rencontrée dimanche dernier. Elle trottait en sens inverse avec un labrador qui au passage s’est jeté sur lui. Pour le lécher ou le mordre, allez savoir ? Dans ces cas là, on ne joue pas au héros et il shootait dans le vide pour empêcher l’animal d’approcher.
Puis tout le monde s’est calmé.

La gonzesse, qui portait une superbe paire de yeux vert, s’est excusée et ils ont fini par bavarder tranquillement de tout et de rien, pendant que le clebs partait à la cueillette aux champignons. Il la trouvait excitante avec ses ronds de transpirations sous les aisselles et les mèches rousses qui lui collaient au front.

Mais rien en vue, pas de Lauren Bacall, ni même d’Alice Sapritch. Tout Bruxelles a compris qu’il faisait vraiment trop dégueu pour aller faire son zwanze dans le bois. Tout Bruxelles, sauf un… qui se met à tousser, renâcle, remugle et envoie un gros crachat bien mousseux sur le tronc d’un hêtre qui ne lui avait pourtant rien fait.

***

C’est alors qu’il le voit.

Un superbe écureuil roux foncé, presque aussi gros qu’un chat, avec une queue semblable à un plumet de chevalier, deux longues touffes de poil au bout des oreilles, un œil noir qui brille comme un bouton de bottine et un ventre blanc. Il se dresse sur une souche d’arbre, à quelques mètres à peine. On le dirait empaillé.

Devos pile sur place ( ha, on ne vous l’avait pas dit ! le gars s’appelle Devos comme un flamand sur deux ) et observe en retenant son souffle, un petit nuage de vapeur s’élevant autour de lui comme un train à l’arrêt.

« Awel ! » dit-il enfin à l’animal, en étouffant la voix pour ne pas l’effrayer : « Tu va déjeuner ? Tu attends Madame ? »

Soudain, plus rapide que l’éclair, la boule de poil bondit d’un saut sur le fut d’un arbre, dont il fait trois fois le tour pour reprendre illico sa posture immobile. Comme si on l’avait mis sur pause. La gouttelette brillante de son œil toujours fixée sur notre joggeur du dimanche.

« Je vais te dire, Fieu… » poursuit notre homme . « J’en ai jamais vu un comme toi, en vrai ! Ouai, des petits écureuils coréens, avec des lignes noires et une tête de rat, qu’on fait tourner dans des roues en bois, tant qu’on veut… mais un ‘echte’ comme toi, avec la queue en panache et tout ça… jamais ! »

Il amorce un mouvement et l’écureuil disparait à l’instant, plus vite qu’une bulle de savon qui pète ! Derrière le tronc sans doute. Devos s’avance, contourne le fut sur la pointe des pieds et aperçoit le rongeur… mais deux arbres plus loin, accroché à l’écorce comme un col de renard qu’on aurait abandonné sur une penderie.

« Faut pas t’enfuir, speedy Gonzalez… je veux seulement te regarder ! »

Il esquisse encore une enjambée sur le tapis de feuilles spongieuses et… whip ! Axel Red se barre une nouvelle fois vers un énorme chêne dont les racines tordues pétrissent le sol et tentaculent aux alentours. Cette fois-ci, il s’est volatilisé.

« Mais attend… » insiste notre joggeur en le cherchant des yeux. Il fait le tour du Roi des forêts et découvre à même le sol, un grand trou sablonneux dont la galerie pentue plonge sous les souches.

Ca, c’est beaucoup trop grand pour le Spirou se dit-il. D’ailleurs, il se souvient fort bien que dans les dessins animés de Walt Disney les écureuils nichent dans les arbres… mais où est donc passé le plumeau volant ?

Il se met à genoux sur la mousse humide, les mains à plat devant lui, et se penche si fort pour examiner l’intérieur de l’orifice qu’on pourrait s’imaginer qu’il prie en direction de La Mecque.

***

Et vlan ! Voila que les lunettes tombent de son nez et glissent vicieusement au fond de l’excavation.

« Potfer’doum’ » jure t-il en se remettant à genoux. ‘Deux fois deux cent- cinquante euros pour les verres et quatre cent-vingt pour la monture, ultra-légère, en titane… J’ai pas intérêt à rentrer sans mes loupes, déjà que Gerda les trouve dix fois trop chères ! ‘

Il se repenche vers le trou, mais voit évidemment beaucoup moins bien et ce n’est qu’en plissant les yeux, qu’il aperçoit le vague reflet des verres briller dans le noir, à moins d’un mètre.

Bon. Quand faut y aller, faut y aller.

Le voici à plat-ventre sur le sol glacé et détrempé, dont l’humidité traverse le jogging et mouille le slip. Il tend le bras à l’extrême, l’épaule enfouie dans le sable et la tête coincée contre les racines. Trop court. Il sent la branche métallique au bout des doigts, mais n’arrive pas à l’agripper et pire, la repousse involontairement un peu plus loin.

« Merde ! » hurle t-il en se redressant à nouveau pour souffler. Tout le devant de son survêt est inondé de boue. ‘Je ne vais pas y arriver comme ça… ‘.

Il cherche une solution autour de lui et repère à quelques pas, une longue brindille dont le bout en forme de flèche pourrait servir de crochet. Il s’en empare, l’élague un peu pour la rendre plus maniable puis la plonge dans le trou en essayant, à l’aveuglette, de récupérer ses lunettes.

Tout ça est beaucoup plus facile à raconter qu’à faire, car le tunnel est incurvé et sa brindille rigide, mais droite. Non seulement il n’arrive pas à cramponner la paire, mais celle-ci s’enfonce une nouvelle fois de quelques centimètres…

« Godfer d’ju ! » peste t-il une nouvelle fois. ‘Va falloir recourir aux grands moyens et me faufiler dans ce tunnel de merde. En clair, engueulade assurée de Gerda, car je vais en sortir noir comme un mineur de fond ’. Mais il en a marre, d’autant plus qu’ un petit vent vient de se lever qui le fait frissonner comme une feuille morte.

Et le voila qui enfonce prudemment la tête dans l’orifice, un bras tendu vers le fond terreux et l’autre plaqué contre le corps, la main solidement arrimée à une des souches qui couronne l’entrée.

***

La boue glisse le long de son crâne et s’infiltre dans une oreille. Ses doigts pianotent dans le vide et l’ongle de l’index touche soudain quelque chose qui pourrait être la monture ou un bout de racine… mais, allongé comme il est, la figure coincée contre le thorax, il ne distingue strictement rien, sinon la vague lueur du jour dans son dos.

Il tente d’allonger son index le plus loin possible, mais la paroi est si visqueuse que l’objet s’esquive une nouvelle fois hors de portée. ‘Non, c’est pas la bonne formule… ‘

Devos s’extirpe du trou et s’affale contre le tronc du chêne en recroquevillant ses jambes contre la poitrine, tant il commence à faire glacial. ‘Je l’avais presque..’ gémit-il en frottant énergiquement les paumes l’une contre l’autre pour essayer de se réchauffer.

‘je vais encore faire une tentative et si ça ne marche pas, j’irai chercher des outils !’ Une bèche et une machette pour agrandir l’orifice et une binette avec un long manche pour fouiller dans l’excavation .

Mais d’abord un dernier essai, en resserrant les vêtements contre le corps pour mieux se faufiler et en tenant un morceau de l’extrémité crochue de la branche dans la main.

‘Et c’est parti !’ s’encourage t-il en rampant une troisième fois dans le tunnel gluant, le harpon à bout de bras.

Vous imaginez la scène… un passant qui passerait par là, s’enfuirait en hurlant en voyant ce demi-corps d’homme gigoter contre le tronc du chêne, luisant de boue comme un Orque ou un Gollum du Seigneur des Anneaux.

Mais l’idée est bonne, car il s’introduit plus facilement dans le goulot, réussit même à y pénétrer jusqu’aux hanches et sent enfin au bout de sa tige de bois la paire de lunettes qu’il arrive à crocheter et ramener centimètre par centimètre dans la paume de sa main. Enfin !

Victoire. Il pousse un long soupir de soulagement , pour autant qu’on puisse encore faire fonctionner ses poumons dans un endroit pareil et s’abandonne une seconde, tout à la joie d’avoir réussi !

‘Bon sang de merde… ça n’a l’air de rien, comme ça… plonger dans un trou pour y récupérer quelque chose… mais il n’a plus vingt ans et surtout, plus la taille d’un jeune homme. Faudra quand même songer très sérieusement à maigrir.’

Et le voila reparti en marche arrière ou plus exactement, en ramping arrière ( reptation pour celles et ceux que le franglais énerve ), en se contorsionnant des fesses et des épaules. Puisqu’il a ( rappelons-le ) un bras tendu devant lui comme la statue de la Liberté et un autre collé contre la cuisse, comme une sentinelle de Buckingham Palace.

Millimètre par millimètre, il faut un peu de patience dans de telles circonstances. Jusqu’au moment ou quelque chose l’agrippe à la taille. Une racine ou un bout de roche qui s’est inséré sous l’élastique de son jogging.
‘Crénom di d’ju !’ jure t-il en interrompant son mouvement.

Va falloir ré-avancer de quelques centimètres vers le fond du tunnel pour détacher l’intrus puis revenir en arrière en se tournant légèrement pour ne plus l’agripper au passage.

Dix minutes. Vous vous rendez-compte ! Dix minutes qu’il fait le gugusse dans ce trou à rat, alors qu’ avec un peu de bon sens, il aurait pu s’épargner : et un jogging merdique dans un bois désert, et un exercice de para-commando dans une boue glaciale. Et on ne vous parle pas ce qu’il a raté… une grasse matinée bien douillette sous un édredon chaud à point, un déjeuner relax avec un café fumant, deux croissants au beurre et le journal du matin.

‘Mais quel con, tu fais !’ s’invective t-il en reprenant son souffle. Car dans ce sous-terrain pour ver de terre aveugle, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup d’air. ‘Toujours vouloir briller, jouer au grand sportif et nanani et nanana. Tu as cinquante deux ans. Point. Arrête ton cinéma et accepte-toi comme tu es, espèce de connard !’

‘Bon, c’est pas tout ça... on y va !’. Il se pousse de quelques centimètres vers l’avant puis revient comme prévu en ondulant du popotin… pour se retrouver devant le même problème. Il est coincé.

En fait, la racine a suivi son mouvement et reste solidement accrochée à son survêtement. Elle se trouve également du mauvais côté… c'est-à-dire, celui où son bras ne se trouve pas.

Il essaie de forcer. Pas moyen. Il recommence son mouvement de reptation, en avant, en arrière, en avant, en arrière… la tige le suit docilement, s’entortille dans le tissu et s’accroche de mieux en mieux…

Maintenant, il rugit de rage, s’arrache, se contracte, se secoue tant et peut, glisse dans la glaise, s’arrête une seconde le cœur battant comme une locomotive, puis repart de plus belle. Il transpire comme un lutteur de foire, il crache la terre qui s’infiltre dans sa bouche et même dans ses yeux, il tousse, suffoque, s’interrompt la panique vissée au ventre, recommence plus faiblement, moins longtemps…

***

Et arriva ce qui devait arriver

***

L’écureuil roux descend prudemment de son arbre et avance par petits bonds vers le gros derrière qui a cessé de s’agiter au pied du chêne. Pour lui le temps ne compte pas, mais il a quand même attendu trois heures agrippé à sa branche avant d’oser approcher de cet étrange animal qui semble s’être trompé de terrier.

Il grimpe le long d’une jambe tendue mollement à l’horizontale et s’en va renifler les fesses encore chaudes. Puis, l’ inspection terminée, file aussi vite que l’éclair vers de nouvelles aventures.

Le hasard ne fait pas toujours bien les choses. Enterrer un homme à moitié ! On vous demande un peu… est-ce bien sérieux ?


FIN


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Le monde des humains est un asile de fous, qui n'est lucide que quelques jours par an, pendant la période du Carnaval



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